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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/257

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BONJOUR, MONSIEUR !

Un grincheux qui n’osait pas dire franchement son avis, mais qui était agacé par ce succès, tourna sa critique dans un compliment.

— Moi, dit-il, je crois que le sujet demandait plus de développements. Certes le sonnet est beau. Mais ne vous semble-t-il pas qu’il ne suffit point à une idée de cette importance ? Songez donc ! Une chose si profonde, si variée, si compliquée, cela ne peut pas tenir dans quatorze vers. La pensée trop puissante fait craquer la forme. À la place de Bruat, je ferais de mon sonnet un drame.

Tout le cénacle opina du bonnet, enchanté au fond de voir le fameux sonnet reçu ainsi à correction.

Bruat ne comprit pas l’ironie du grincheux.

— Tu as raison, s’écria-t-il en se rengorgeant. J’avais rapetissé mon idée dans ce moule étroit. Merci de ta critique, qui prouve combien tu m’estimes. En effet, mon idéal vaut mieux que quatorze vers. J’en ferai un drame en cinq actes et neuf tableaux.

Et, malgré les protestations hypocrites de ses amis, il déchira en miettes le sonnet chef-d’œuvre.

Il vécut pendant cinq ans sur le souvenir de ce sonnet. Il promettait toujours le drame étonnant intitulé Bonjour, Monsieur ! Il était devenu presque célèbre avec cette pièce en portefeuille. On savait qu’il n’y avait plus que quelques scènes à faire ; on se disait que la besogne avançait ; des naïfs et des convaincus, qui n’avaient jamais vu l’auteur, se portaient garants de son génie, et colportaient sa renommée. À les en croire, c’était un grand avenir, une merveil-