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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/263

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BONJOUR, MONSIEUR !

publierai, je me ruinerai s’il le faut pour qu’il paraisse gravé sur de l’or en lettres de diamants. Il le mérite, il éblouira le monde. Donne !

— Le sonnet ! quel sonnet ? balbutiait Bruat en râlant.

— Mais ton grand sonnet ! soupira l’ami qui voyait arriver le délire de l’agonie.

— Ah ! oui, oui, le sonnet, le grand sonnet ! Trop grand, mon ami, trop long ! Il faut faire intense.

— Quoi ! aurais-tu brûlé aussi ton dernier sonnet ?

— J’ai trouvé mieux. J’ai trouvé tout. La vie moderne, la modernité, je la tiens, je l’ai, je l’exprime. Elle n’est ni dans un sonnet, ni dans un quatrain, ni même dans un vers. Elle est…

La voix s’affaiblissait, devenait rauque, sifflante, perdue.

L’ami, les yeux hagards, la bouche béante, se pencha sur le lit pour boire la dernière parole, la parole qui déchirerait les voiles, la parole qui donnerait la clef du mystère, le Sésame ouvre-toi de l’art à venir.

— Parle, parle, disait-il.

— Tout dans un mot, tout dans un mot, murmurait Bruat.

Et le vieillard se redressa dans un soubresaut d’agonie. Son regard était extatique. On sentait que sur le seuil de la mort il voyait l’idéal rêvé. Il fit un effort terrible pour l’exprimer, et le mot extraordinaire sortit de ses lèvres avec son dernier souffle.

Il expira en disant : Bonjour, Monsieur !