délicat, et que les sourds en revanche arrivent à comprendre par les yeux, au mouvement des lèvres, les mots qu’ils n’entendent pas. Il devenait facile d’en conclure que l’atrophie d’un sens profitait aux autres.
Je compris alors pourquoi les prêtres de Bouddha s’astreignent à l’immobilité solitaire et silencieuse, et je ne trouvai plus ridicule la position de ces voyants absorbés par leur nombril. Ils cherchent dans l’extase contemplative l’oubli du monde sensible. Malheureusement l’extase ne dure pas ; et, malgré leur héroïsme, ces immobiles ont des sensations dans l’intervalle des accès cataleptiques. Puis n’eussent-ils même que des sensations indistinctes et confuses, ils ont toujours à l’intérieur la Conscience et la Raison qui travaillent, et ainsi ils sont perpétuellement distraits, sinon par les sens externes, au moins par les sens internes.
Il fallait donc trouver un état dans lequel l’esprit ne serait occupé ni de sensations ni de pensées.
Était-ce possible ?
Pour les sensations, oui. Rien de plus facile, avec une volonté ferme et résolue, que de se rendre aveugle, sourd, et muet. C’est une affaire de nerfs à paralyser, rien de plus. Le jour où je voudrais, je pourrais me priver de mes sens, en ne conservant du toucher que ce qu’il en faut pour écrire dans l’ombre mes visions. Ainsi j’arriverais à n’avoir plus que des souvenirs de sensations qui s’effaceraient peu à peu dans une mémoire laissée sans culture de ce côté.
Pour les pensées, la chose devenait moins facile. Cesser de penser, n’est-ce point cesser d’être ? Oui, au