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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/40

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LES MORTS BIZARRES

hypogastrique contre le mal de mer, appareil de sauvetage en cas de tempête.

Malgré tout, il n’eut pas de chance.

Les provisions furent avariées par l’embrun, la pharmacie fut brisée par un coup de roulis, la ceinture donna plus de ressort aux vomissements.

Seul, l’appareil de sauvetage fut utile.

On fit naufrage en effet. Près d’arriver au port, le navire toucha contre un écueil et sombra.

Mais il mit un quart d’heure à s’enfoncer, et notre homme eut le temps de s’armer contre la mer. Il revêtit son costume de gutta-percha, l’enfla de son souffle suffisamment pour en faire une vessie, et réussit à surnager.

Un compagnon d’infortune, que sur le bateau il avait traité comme un ami, voulut s’accrocher à lui : il le repoussa avec indignation.

Une pauvre mère, qui élevait au-dessus des flots un nourrisson, le lui tendit en s’engloutissant sous une vague. Il le prit, et le laissa retomber après s’être emparé de son biberon.

Il était devenu féroce pour sauver sa précieuse peau. Il eut de la peine à la sauver. Rejeté au large par le reflux, il vit la terre sans pouvoir y aborder. Battu par les vents et les marées, il se défendit deux jours contre les vagues. Il avait l’estomac vide, le sang à la tête, la fièvre au pouls, les membres raidis par le froid. Un autre, moins tenace, eût dégonflé sa machine et se fût laissé couler, plutôt que d’endurer les tortures qu’il supporta. Mais lui eut le courage de