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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/48

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LES MORTS BIZARRES

mais entré dans cette pièce, il l’avait seulement aperçue par la porte entr’ouverte. Il se rappelait vaguement que le lit était au fond, à côté d’une grande et solide armoire en vieux chêne, rehaussée de gonds en cuivre. C’est là que dormait le magot si longuement engraissé par les Compte-sous, et si ardemment convoité maintenant par Pierre Lurier.

Car, au premier souvenir qui lui était revenu, son dessein s’était arrêté. Il avait enfin trouvé l’occasion patiemment attendue. Il fallait aller là, y aller sans se faire voir, observer si rien n’était changé, prendre toutes les précautions demandées par la prudence, et agir avec la dernière audace.

Il fit en deux nuits les dix lieues qui le séparaient de Nizy-le-Comte. Il passa un jour entier caché dans un bois, au fond d’une grotte humide, les pieds dans l’eau, sans manger. Mais au moins, quand il arriva vers les deux heures du matin à la maison des Berlot, il était bien sûr de n’avoir été rencontré en route par personne.

Dans la ruelle qui longeait le derrière du jardin, il trouva par bonheur un champ de carottes, où il cueillit un dîner quelconque.

Ainsi maigrement lesté, mais soutenu par la fièvre de réussir, il grimpa sur le mur qui faisait face au mur de derrière des Berlot. Une fois sur la crête, il se dressa tout debout, sans penser qu’il pouvait perdre l’équilibre ; et se ramassant sur lui-même, d’un bond prodigieux, il alla tomber de l’autre côté de la ruelle dans un arbre du jardin.