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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/7

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CONSTANT GUIGNARD

sous un autre nom, pensa qu’il avait dépisté la fatalité et se remit à faire le bien.

Un jour, dans une fête, il vit un cheval emporté qui entraînait une voiture droit dans le fossé du rempart. Il se jette à la tête du cheval, a le poignet tordu, la jambe cassée, une côte enfoncée, mais réussit à empêcher la chute inévitable. Seulement, l’animal rebrousse chemin, et va s’abattre au milieu de la foule, où il écrase un vieillard, deux femmes et trois enfants. Il n’y avait personne dans la voiture.

Dégoûté cette fois des actes d’héroïsme, Constant Guignard prit le parti de faire le bien humblement et se consacra au soulagement des misères obscures. Mais l’argent qu’il portait à de pauvres ménagères était dépensé au cabaret par leurs maris ; les tricots qu’il distribua à des ouvriers habitués au froid leur firent attraper des fluxions de poitrine ; un chien errant qu’il recueillit donna la rage à six personnes du quartier ; et le remplaçant militaire qu’il acheta pour un jeune homme intéressant vendit à l’ennemi les clefs d’une place forte.