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LES ÎLES D’OR

En leurs stupides yeux voici l’effarement.
Mais ils s’en vengeront vite et barbarement.
Écoute ce haro de rires et d’outrages
Contre nous qui venions à leurs veules courages
Verser le vin des forts, guérisseur de leurs maux,
« Poète ! Baladin ! Pitre ! Montreur de mots !
« Rhéteur ! Jongleur dont les boules d’or sont les rimes !
« Nos cœurs gonflés d’espoir, c’est toi qui les déprimes !
« Nos chers rêves, où l’homme est réhabilité,
« Nos vœux vers la Justice et vers l’Égalité,
« Toi, toi, vouloir nous les crever comme des bulles !
« Tais-toi ! Va-t’en ! Retourne avec les funambules,
« Puisque ton boniment vaut le leur entendu
« Et que la corde raide est sœur du vers tendu !
« Ta pitié pour les gueux, tes airs de camarade,
« Tes coups de gueule en leur faveur, banque, parade,
« Grosse-caisse, tambours, trombones et cornets,
« Tout l’orchestre de foire à lanciers polonais !
« Aboyeur de tréteaux, paillasse ridicule,
« Jamais nous ne prendrons ton bras qui gesticule
« Pour une aile, et saint Jean et toi pour deux jumeaux.
« À tes rimes, montreur de mots, marchand de mots ! »
Oh ! non, mes frères, non, grâce ! Sous vos risées
N’étouffez pas ma voix et ma foi méprisées !
Écoutez-moi ! J’ai tant à dire !… lâches, fous,
Criez donc ! Je saurai crier plus fort que vous.