B… par exemple, et perd ses souvenirs pour en acquérir qui sont spéciaux à ce B… imaginaire. Tout se passe alors comme si A… et B… étaient deux personnes, avec des goûts, des sentiments, des gestes, des attitudes complètement distinctes. Depuis le cas célèbre de Azam, on en a donné maints exemples : M. Prince, en Amérique, a rapporté quelques faits remarquables.
Dans l’état hypnotique, les magnétiseurs avaient, d’une manière extrêmement vague, signalé qu’ils pouvaient transformer, par des affirmations verbales, tel sujet endormi en une personnalité nouvelle. Mais ils n’avaient guère, à ce qu’il semble, compris la portée de cette expérience, et tout en était contesté. J’ai fait en 1887 l’étude méthodique de ces changements de personnalité, qui, depuis cette époque, ont pris rang parmi les phénomènes classiques de l’hypnotisme.
Voici en quoi consiste ce fait singulier. Je dis à une jeune fille, Alice, hypnotisable et hypnotisée… « Vous n’êtes plus Alice ; vous êtes une vieille femme. » (Peu importe qu’on ait pratiqué ou non des passes magnétiques : la suggestion verbale fait tout.) Alors aussitôt Alice prend la toux, la démarche, la voix cassée d’une vieille femme. Pendant une heure, pendant deux heures, pendant plus longtemps, si la patience des observateurs ne se lasse pas, elle se comporte en pensées et en gestes absolument comme une vieille femme. Ce n’est, si l’on veut, qu’une comédie, mais c’est une comédie qui est involontaire, fatale, déchaînée, dans l’intelligence docile d’Alice, par la suggestion et l’hypnotisme. Rien n’est plus extraordinaire, et j’oserai dire plus amusant, que cette adaptation rapide, exacte, totale, à une personnalité nouvelle.
On n’a pas à objecter la simulation. Certes une simulation est possible. Mais il n’y a pas de simulation. Aujourd’hui la question est jugée, et nous n’y reviendrons pas. Et puis il importe énormément peu de savoir si, au tréfonds de sa conscience, Alice n’a pas conservé quelque vague souvenir qu’elle est Alice. Ce qui est évident, incontestable, c’est qu’elle se laisse aller, sans pouvoir s’arrêter, à jouer le personnage qu’on lui a imposé. Qu’il reste en elle un résidu de sa personnalité antérieure, c’est plus que possible, c’est certain ; mais en tout cas l’intelligence tout entière s’adapte