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Page:Rilke - Histoires du Bon Dieu.pdf/65

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devient aujourd’hui de plus en plus fréquent malgré notre degré de culture.

Ewald allait encore me poser une question, mais il se contint et sourit :

— Je vous interroge… je ne cesse de vous interroger… Mais peut-être vouliez-vous me raconter une histoire ?

Il me jeta un regard plein d’attente.

— Une histoire ? Je ne sais pas. Je voulais seulement dire que ces chansons étaient l’héritage de certaines familles. On les avait reçues et on les léguait à d’autres, non sans les avoir usées un peu par l’emploi quotidien, mais intactes néanmoins, comme une vieille bible que l’on se transmet de père en fils. Et les enfants déshérités se distinguaient de leurs frères par ceci qu’ils ne savaient pas chanter, ou du moins qu’ils ne connaissaient qu’une petite partie des chansons de leurs père et aïeux, et ils perdaient avec les autres chansons la grande part d’expérience que toutes ces bylines et ces skaski contenaient aux yeux du peuple. C’est ainsi, par exemple, que Jegor Timofejevitch avait épousé contre la volonté de son père, le vieux Timofei, une belle jeune femme,