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Page:Rilke - Les Cahiers de Malte Laurids Brigge.pdf/140

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les cahiers de m. l. brigge

allait avec un air effrayé, c’était sûrement qu’il était attendu à Lystager.

À la vérité maman n’allait déjà plus nulle part, mais cela, les Schulin ne pouvaient le comprendre ; il n’y avait pas d’autre solution, il fallait y aller un jour ou l’autre. C’était en décembre, après quelques précoces chutes de neige ; le traîneau était commandé pour trois heures, je devais être de la promenade. Mais on ne partait jamais de chez nous à l’heure précise. Maman qui n’aimait pas qu’on annonçât la voiture, descendait le plus souvent beaucoup trop tôt, et lorsqu’elle ne trouvait personne, elle se rappelait toujours quelque chose qui aurait dû être fait depuis longtemps, et elle commençait à chercher ou à ranger je ne sais quoi, tout en haut de la maison, si bien qu’il n’y avait presque plus moyen de l’atteindre. Finalement nous étions tous là debout, et nous attendions. Et lorsque, enfin, elle était assise et empaquetée, on découvrait encore qu’on avait oublié quelque chose, et il fallait faire chercher Sieversen ; car Sieversen seule savait où cela se trouvait. Mais ensuite on démarrait brusquement, avant même que Sieversen fût revenue.

Ce jour-là il n’avait pas du tout fini par faire clair. Les arbres étaient là, comme empêchés d’avancer dans le brouillard, et il y avait de l’entêtement à vouloir quand même entrer là-dedans. La neige cependant recommençait à tomber en silence, et à présent c’était comme si tout, jusqu’au dernier trait, avait été effacé, comme si l’on conduisait dans une page blanche. Il n’y avait rien que le son des grelots et l’on n’aurait pu