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Page:Rilke - Les Cahiers de Malte Laurids Brigge.pdf/183

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les cahiers de m. l. brigge

double, aussitôt qu’il serait arrivé au rebord de la cheminée. Eh bien donc, c’est le couvercle de cette boîte qui m’en veut.

Mettons-nous d’accord sur ce point : le couvercle d’une boîte saine dont le bord ne serait pas bosselé, un tel couvercle ne devrait pas avoir d’autre désir que de se trouver sur sa boîte. Cela serait la situation la plus lointaine qu’il serait capable d’imaginer, et qui impliquerait une satisfaction insurpassable, le contentement de tous ses désirs. N’est-ce pas presque un idéal de reposer ainsi, également, patiemment et doucement coiffé sur un petit renflement et de sentir en soi la carne qui s’avance, élastique et non moins aiguë que n’est votre propre bord lorsque vous êtes détachés l’un de l’autre. Mais, hélas, combien peu de couvercles savent apprécier cela ! Il apparaît clairement ici combien les rapports des hommes avec les objets ont provoqué chez ces derniers de troubles. Car les hommes, lorsqu’il est permis en passant de les comparer à de tels couvercles, ne restent assis près de leurs occupations que contre leur gré et de méchante humeur. Soit que dans leur hâte ils n’aient pas trouvé la bonne fonction, soit que dans la colère on les ait posés de travers, soit parce que les rebords qui devraient s’appuyer les uns sur les autres, sont déformés, chacun d’une autre manière. Disons-le donc en tout franchise : au fond d’eux-mêmes ils ne cessent de penser, toutes les fois que l’occasion s’en présente, à rouler et à sonner creux. D’où sans cela proviendraient les prétendues distractions, et le bruit qu’ils font ?