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Page:Rilke - Poésie (trad. Betz).pdf/8

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À qui a connu et aimé Rilke, il est difficile de parler du poète sans d’abord évoquer l’homme. Une courtoisie exquise, une conversation pleine de souvenirs et de fantastiques anecdotes, l’étrange charme d’un accent si personnel que facilement il vous émouvait jusqu’aux larmes, c’en était assez pour faire de lui le plus rare des hommes, le plus précieux des amis.

J’essaie de retrouver ses traits : un visage allongé sous un front large que de petites rides de bas en haut entamaient à peine. Un regard bleu qui s’éloignait facilement et, même revenu à la réalité, gardait toujours, sous la belle courbe de l’arcade sourcilière, quelque chose d’interrogateur et d’étonné. Pourtant ces yeux ne disaient pas tout, non plus que le pli de la bouche, un peu amer sous les moustaches tombantes. Et ce visage ne devenait vraiment lui-même que lorsque les paupières doucement abaissées semblaient retenir ce qui se préparait au-delà de grave et d’imprévisible, et que, tout concentré autour de cette voix profonde que nous n’entendions pas encore, il ne nous apparaissait plus que comme la dernière vague de quelque remous intérieur.