Page:Rimbaud - Œuvres, Mercure de France.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douloureusement et tendrement, comme un cerf à une biche :

— Oh ! oui ! Mademoiselle… Thimothina !!!!

Miserere ! miserere ! — Dans mon œil ouvert délicieusement vers le plafond tombe tout à coup une goutte de saumure, dégouttant d’un jambon planant au dessus de moi, et, lorsque, tout rouge de honte, réveillé dans ma passion, je baissai mon front, je m’aperçus que je n’avais dans ma main gauche, au lieu d’un chapelet, qu’un biberon brun ; — ma mère me l’avait confié l’an passé pour le donner au petit de la mère chose ! — De l’œil que je tendais au plafond découla la saumure amère : — mais, de l’œil qui te regardait, ô Thimothina, une larme coula, larme d’amour, et larme de douleur !…

...

Quelque temps, une heure après, quand Thimothina m’annonça une collation composée de haricots et d’une omelette au lard, tout ému de ses charmes, je répondis à mi-voix : — J’ai le cœur si plein, voyez-vous, que cela me ruine l’estomac ! — Et je me mis à table ; oh ! je le sens encore, son cœur avait répondu au mien dans son appel : pendant la courte collation, elle ne mangea pas : — Ne trouves-tu pas qu’on sent un goût ? répétait-elle ; son père ne comprenait pas ; mais mon cœur le comprit : c’était la Rose de David, la Rose de Jessé, la Rose mystique de l’écriture ; c’était l’Amour !

Elle se leva brusquement, alla dans un coin de la cuisine, et, me montrant la double fleur de ses reins, elle plongea son bras dans un tas informe de bottes, de chaussures diverses, d’où s’élança son gros chat ; et jeta tout cela dans un vieux placard vide ; puis elle retourna à sa place,