Page:Rimbaud - Poésies complètes, Vanier, 1895.djvu/62

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Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Une prière aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux déformés.

Dehors, le froid, la faim, l’homme en ribote :[1]
C’est bon. Encore une heure ; après, les maux sans noms !
— Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote
Une collection de vieilles à fanons ;

Ces effarés y sont et ces épileptiques
Dont on se détournait hier aux carrefours ;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques
Ces aveugles qu’un chien introduit dans les cours.

Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Récitent la complainte infinie à Jésus
Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des méchants pansus,

Loin des senteurs de viande et d’étoffes moisies,
Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ;
— Et l’oraison fleurit d’expressions choisies,
Et les mysticités prennent des tons pressants,

  1. À noter que ce vers est « faux » : c’est un décasyllabe et non un alexandrin. Certaines éditions l’ont corrigé d’après le contexte, de façon plus ou moins élégante.
    Édition Poésies complètes de 1895 :
    « Dehors, le froid, la faim, et puis l’homme en ribote ».
    Édition de Bouillane Lacoste au Mercure de France en 1895 :
    « Dehors, la nuit, le froid, la faim, l’homme en ribote ».
    Source : édition Le Livre de Poche établie par Daniel Leuwers, 1971, page 263.