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l’étranger

« Le bruit courut un jour de sa mort dans la brousse africaine. Mais c’est en vain que sa mère tenta de vérifier cette rumeur. Une lettre pressante à Londres revint avec la mention « Inconnu » ; le banquier, failli, avait disparu.

« Robert Lanthier fut tenu pour mort par tous.


✽ ✽

« Et c’est lui que je retrouvais après plus de vingt ans, ainsi métamorphosé en Persan de carnaval, étranger par le costume et plus étranger encore par une espèce d’atmosphère qui émanait de lui et que je ne sentais que trop.

« Nous restâmes un assez long temps silencieux en face l’un de l’autre, moi attendant je ne sais quoi, peut-être une explication ; lui, sans doute, mon départ.

« Enfin il éleva une voix lente et sourde encore, dont les mots hésitants devinrent peu à peu presque préci­pités. On eût dit qu’au début il cherchait les vocables que depuis longtemps il n’avait plus employés mais dont la chaîne se nouait de plus en plus solide et régulière. Mais il ne me tutoyait point.

« — Vous voulez savoir ? Bon !

« Il me semble, si je ne me trompe, que je vous écrivis de Basrah ou de Bagdad une lettre méprisante pour l’Orient, dure pour l’Islam… stupide ! Entraîné par un Hollandais avec qui je m’étais lié au hasard du voyage, je pris avec lui la route de l’intérieur, de l’Iran… de la Perse. Lui s’en allait occuper à Téhéran un poste secondaire à la Légation. Son désir de m’en­traîner était surtout une répugnance à faire seul le trajet de deux semaines dans le désert. Je finis par céder à ses instances. À quoi tient la destinée ! Mais cela était écrit au livre d’Allah le Miséricordieux ! »