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le sacrilège

vue de l’endroit. Mais quand je dis à mon compagnon d’atterrir et que nous allions au maraé, il fit celui qui ne sait pas, ou plutôt qui sait mieux :

« — Il n’y a pas de maraé ici, Mémané, il n’y a pas de maraé. Je t’assure. Peut-être un peu plus loin ; c’est cela, il est un peu plus loin. Je sais l’endroit ; c’est passé la pointe là-bas. Je vais te conduire. Mais je connais. Ici, pas de maraé.

« Il avait l’air tellement certain et tellement désireux de me conduire ailleurs que je compris ; j’étais en plein dessus. Il faut vous dire que tous les restes de l’ancienne religion locale sont tapous, sacrés, inviolables, encore aujourd’hui. On les croit hantés par les tupapaous, les revenants que chacun voit partout. Bref, faire descendre mon guide ne fut pas une mince affaire. Usant d’autorité, je finis par y parvenir. Nous approchâmes de la rive ; il tremblait, comme un cocotier dans un typhon. Pas d’erreur : droit devant nous, sur un promontoire plutôt bas, une masse de blocs de corail taillés, disposés en une pyramide sur laquelle s’entassait un amas de pierres du rivage. La végétation n’avait pas encore fini de l’ensevelir. Dame ! il n’y a pas quarante ans que l’île est conquise.

« Debout sur les débris, en bonne place, et qui nous regardait venir, il y avait ce tiki cul-de-jatte ; autour de lui, mêlés aux éclats de basalte et de corail noircis, des débris où je ramassai quelques tibias et autres ossements humains. C’était assez pour reconstituer en esprit la dernière cérémonie, et le dernier banquet ! Le dernier du moins qui se fût passé en plein jour, ouvertement, gaiement !

« Naturellement, j’ai voulu emporter le tiki. Je suis monté sur le tas de cailloux et me suis approché comme tout à l’heure ; et comme tout à l’heure, comme chaque fois que j’ai voulu le toucher depuis, j’ai