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l’héritage

Machinalement il fit la fouille des meubles ; il ouvrait l’un après l’autre les tiroirs du chiffonnier. Une grande armoire de sapin dont les portes bayaient comme la bouche d’un mort faisait un pan de mur. Il y jeta un coup d’œil : un verre ébréché, un crouton de pain couvert de moisissure et, noyé dans les toiles d’araignées du coin, un vieux numéro de l’Almanach du Peuple. Y traînait aussi un linge informe dont Albert essuya les tablettes avant que d’y déposer le contenu de son sac. Il vit encore, pris dans une fente, un papier que machinalement il se mit à lire. C’était un fragment de lettre :

« …à Montréal, j’ai pas pu te voir. J’étais chez des amis. Mais j’arais bien voulu parce que j’ai bien besoin. Ça coûte tellement cher. J’arais pas dû t’écouter et faire comme Violette au lieu de m’embarquer de même ; c’est vrai que tant que tu seras de promesse, ça pourra faire. J’ai été voir chez les Sœurs… »

La lettre était déchirée obliquement :

« pas mal. Mais je finis pu d’ach… »
« culottes, un chapel… »
« bon sens… »

Il tourna la feuille ; mais l’humidité avait fait couler l’encre ; rien qui put avoir un sens.

Assis sur le pied du lit, la lettre dans les mains, il relut puis laissa voguer son esprit. Était-ce bien de lui qu’il s’agissait, de l’enfant qu’il avait été, du pauvre enfant encagé dans un orphelinat sans parloir, seul décor enfantin dont il eut souvenance.

Sa mère, il ne se rappelait point l’avoir jamais vue ; et les Sœurs ne se faisaient point faute de lui dire que jamais elle n’avait eu de lui souci, que de personne la communauté ne recevait rien.

Il regarda de nouveau le papier, puis le froissa et le jeta par terre d’un geste machinal de célibataire. Mais