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SEPT JOURS


LUNDI



La boulangère ouvrit la porte et offrit au jour sa chair douce et blonde. Un jet de lumière matinale coupa la salle et passant par-dessus la huche basse, s’étala sur la grand-table, blonde aussi comme le soleil, le pain et la boulangère. Et par la porte sortit avec la boulangère l’odeur lourde et bonne de la pâte.

Tous les matins la boulangère commençait ainsi sa journée par dorer au soleil sa blondeur satinée ; elle la servait sur la table du matin. C’était une espèce de rendez-vous, le seul qu’elle connût et qu’elle pût espérer, dans ce calme village.

Un coup d’œil à droite, un autre à gauche, par habitude. Comme d’habitude, rien.

Rien que, à droite, madame Gingras la voisine, en matinée rouge, en train de balayer son perron. Il est donc huit heures dix. À gauche, rien : que la rue vide dont la poussière boit le soleil, jusqu’au bout où elle s’efface dans les champs, comme un ruisseau dans un lac.

Un grondement. À cinquante pas de la boutique, l’autobus s’arrête, le gros autobus gris et rouge. Personne ne descend. Voilà Édouard Laprise qui arrive