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la sentinelle

sur la nuque, les yeux calmement fixés sur sa méca­nique, se grattait la tête nonchalamment.

Autour de nous, c’était la jungle, tropicale, lourde, hermétique, sur nous aussi, comme un écrasant couvercle. Il n’y avait de libre que le ruban mince de la route qui à quelques cents pieds plongeait brusquement à gauche dans la mer végétale ; et tout en haut une bande de métal bleu, là où les branches ne se pouvaient joindre. Partout régnait la chaleur épaisse, humide, spongieuse. On avait l’impression de respirer un marécage.

— Eh bien ! Qu’est-ce qui se passe ?

— Il faut attendre. Quelque chose qui ne va pas. Quand la voiture sera refroidie un peu je pourrai ré­parer. Bientôt, tout à l’heure.

Il n’y avait rien à faire que de patienter. Mais le chauffeur me regarda un instant, puis :

— Vous êtes Américain ?

— Non ! Pourquoi ?

— Alors ça va bien. Vous pourriez aller attendre chez le Tonto. Ça passera le temps.

— Le Tonto ? Qui est-ce ?

Tonto… en espagnol cela veut dire fou… je le savais. Mais j’avais beau regarder, je ne voyais pas la moindre maison, pas la moindre amorce de sentier.

Le chauffeur se mit à rire.

— Oh ! il n’est pas dangereux. Surtout que vous êtes Français !

Et sans attendre. Il se mit à crier :

Tonto… eh !… Tonto… !

Je me tournai du côté vers lequel il appelait ; j’aperçus alors, noyée dans l’océan des verdures, en­foncée dans les basses feuilles et les fougères géantes, une espèce de cabane que cachait encore mieux le treillis des lianes. À la barrière apparut un homme.