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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/125

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HÉLÈNE ET MICHEL

L’hôtel eût flatté son orgueil ; mais la modicité de son salaire lui interdisait un luxe réservé aux voyageurs de commerce des grandes maisons de Québec et Montréal. Ses meubles vendus en vrac à Bernard Laferrière qui se mariait, il prit chambre et pension chez madame Lang.

Une fois payés les frais et les dettes courantes, quelques-unes inattendues, Michel se trouva devant moins de deux cents dollars. Pendant la maladie de sa mère le loyer avait couru, tandis que la boutique de modes ne rapportait rien. Bien plus, les factures s’étaient mises à pleuvoir : notes de fournisseurs et de modistes en gros, comptes en souffrances depuis des mois, des années même et qu’Hélène avait réussi à lui cacher. Pauvre Hélène, pauvre maman, si peu faite pour tout cela !

Il ne pouvait penser à sa mère qu’avec ce sourire intérieur que fait naître l’évocation de quelque chose de doux et de joli : un rouge-gorge sur une branche de prunier en fleur, un chaton dans un rai de soleil, la première violette dans les bois que mai vient de peindre de frais. Il n’avait de souvenirs d’elle que délicats et riants ; et les images plaisantes qui de ce passé mutuel sourdaient en lui ne l’attristaient point.

Le soir, il errait par les rues de la ville, cherchant partout des souvenirs. Les retrouvant parfois, il recréait autour de l’ombre fugace et chérie de sa mère un guignol singulier et charmant où ils revivaient tous les deux et dont il était le seul maître et le seul animateur.

Fin juin, il prit le train pour Montréal avec l’intention bien arrêtée d’y passer deux semaines.

En sortant de la gare Viger, son sac de voyage au bout du bras, le chapeau melon tout neuf sur la tête et une pochette de couleur bien en vue sur le cœur, il s’arrêta un moment, déçu. La gare débouchait sur une rue latérale, au fond d’une espèce de fosse. Il crut vaguement s’être trompé ; une ville de l’importance de la métropole, « la quatrième ville française de l’univers », disaient les journaux, ne pouvait ainsi accueillir les visiteurs ! De ce Montréal qu’il attendait, de ses rues larges, de ses édifices étonnants, de la foule houleuse, il ne voyait rien. Il cherchait son mirage et n’en trouvait même pas les matériaux épars. Tout ce qu’il découvrait c’était, au haut d’une butte presque verticale, un amas de vieilles constructions.

Mais des percherons aux jambes barbues tiraient hors de la gare d’immenses voitures où les caisses s’équilibraient miraculeusement. Les roues bandées de fer roulaient des tonnerres continus sur les pavés de pierre inégaux. Des autos passaient en cornant avec impatience ; à quoi les charretiers répondaient par des jurons insouciants et des injures de bonne humeur. Tout ce fracas laissait deviner la Ville.

Ce que Michel subitement saisit, au travers de cela et malgré cela, ce fut une vibration sourde et profonde qui était la respiration dure de la