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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/15

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CHAPITRE PREMIER


– TU  es  là, Michel ?

— Oui, maman.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— J’écoute, maman… Tu sais, j’en ai vu un brun, tout à l’heure. Il ne chantait pas comme les autres ? Qu’est-ce que c’était ?

— Je ne sais pas ; je ne l’ai pas vu.

— Mais tu l’as entendu !… C’était beau !

La porte grillagée s’ouvrit en faisant grincer son ressort puis se referma avec un claquement sec. Hélène sortait retrouver son fils.

Elle s’arrêta un instant et renversa la tête en arrière pour boire un peu de jour. Dénouée, sa chevelure qu’elle venait sécher au soleil ruisselait sur ses épaules en une cascade de lumière chaude qui lui tombait jusqu’aux reins.

Michel ne savait pas combien sa mère était jolie ; mais il la sentait instinctivement tendre comme un jour de printemps. Il se colla sur elle avec des mouvements souples et gracieux de petit animal caressant. Brusquement, elle l’enveloppa de ses cheveux. Il se débattait avec impatience cherchant à sortir de ce filet dont les mailles faisaient à son oreille un bruit de mer lointaine et dont l’odeur chaude lui montait à la tête.

Hélène riait doucement, d’un rire qui faisait vibrer sa gorge et montrait ses dents blanches, petites et irrégulières comme des dents d’écureuil.

Michel était l’unique enfant des Garneau ; de Ludovic Garneau, serre-frein à l’emploi du Canadian Pacific Railway, que l’on n’appelle jamais que le C. P. R. et dont la gare était à portée du regard. De sa fenêtre, Hélène apercevait le bâtiment rouge, bas, et la haute tour-réservoir, aux toits encrassés par la fumée des trains. Elle eût pu tout aussi facilement voir son homme, tantôt penché sur un aiguillage, tantôt accroché à l’étrier du dernier wagon, le bras levé pour signaler la manœuvre. Mais elle ne portait que bien rarement les yeux de ce côté.

Ils s’étaient épousés quand elle n’avait encore que dix-sept ans et vivait avec sa mère dans le village voisin de Maskinongé où toutes deux tenaient une petite boutique. Jolie et accorte, elle avait eu à choisir. Ludovic lui avait plu d’abord parce qu’il était bon vivant, ensuite parce

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