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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/209

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LES ANTIPODES

de son bureau, à l’hôtel, avec les titres multicolores de ses mines défuntes : la St John Gold, la Harricanaw Reserve, la Gallarty, la Lac-Fret Explorar tion, quelques autres. Et à la place d’honneur, au-dessus du coffre-fort, la Royal-Roussillon.

Robert souriait des offres généreuses et enthousiastes de son ami. Il l’eût voulu qu’il lui eût été fort difficile de tenter la chance de conserve avec lui. Car il n’avait point d’argent disponible. À l’usine, les commandes se faisaient de plus en plus difficiles à obtenir. Les clients, eux-mêmes serrés, exigeaient des conditions inacceptables, des crédits sans terme pour, souvent, faire faillite. Garneau avait commencé par couper les salaires ; puis il avait renvoyé du monde.

Le personnel du bureau ayant été réduit à l’indispensable, il apportait le soir, chez lui, des liasses de papiers. Il travaillait ainsi sans désemparer. À peine s’il avait le temps de jeter sur les journaux un regard en diagonale. À quoi bon, d’ailleurs : il n’y avait de nouvelles que mauvaises.

Un léger serrement de cœur lui venait en entrant le matin à l’usine, dans la partie affectée à l’administration. La peinture pelait aux murs et le linoléum du hall était crevé en deux endroits. Il se rappelait l’époque déjà lointaine où il était venu en ce lieu pour y commencer sa carrière. On voyait alors dans le grand bureau attenant à son cabinet vingt pupitres jumelés garni chacun d’une machine et d’une dactylo. Il songeait avec nostalgie à la musique crépitante de cet orchestre industriel dont il avait été d’abord le répétiteur puis le chef. De vingt, l’on était depuis longtemps descendu à huit. Puis à quatre. Depuis un mois, elles n’étaient plus que deux.

Néanmoins, Robert ne se décourageait pas. On avait assurément touché le fond de cette dépression catastrophique. Sur ce point tous les experts étaient d’accord. Les affaires désormais assainies, purgées, ce serait bientôt la reprise. Il suffisait de patienter et de tenir. Grâce aux coupures qu’il avait faites dans les dépenses et surtout parce qu’il avait eu la sagesse de ne pousser la production que des articles depuis longtemps connus, l’usine se maintenait.

La vie des Garneau n’était point difficile. Certes, il fallait être prudent ; mais le prix des choses s’était affaissé. Enfin, dès le début du krach, Robert avait acquis à bon compte cette nouvelle maison à laquelle Hortense avait si longtemps aspiré. Ils avaient ainsi quitté le logement de l’avenue Dollard qui avait succédé à l’appartement de la rue Bernard. Malgré tout, l’ascension continuait.

Leur nouveau logis était — enfin ! — un cottage rue Pratt, dans un quartier tout neuf d’Outremont. Des fenêtres, on avait immédiatement sous les yeux la gare de triage du Pacifique Canadien. Par delà, c’était la