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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/241

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LES ANTIPODES

Il lui téléphona dès le lendemain, en fin d’après-midi ; elle n’y était point. Quelques jours plus tard, l’homme qui répondit insista pour savoir qui parlait. Lorsque Garneau se fut nommé, on lui fit savoir que madame Cyr ne pouvait venir à l’appareil. Il en fut de même les jours suivants. Si bien qu’il finit par comprendre : elle avait donné des ordres pour qu’il ne pût l’atteindre désormais.

Ce n’est que cinq semaines plus tard qu’il reçut d’elle un mot bref : Après des années de séparation, elle s’était remise avec son mari et disait à Robert Garneau à la fois merci et adieu.

***

Cette lettre, il venait de la trouver dans le courrier qu’il avait apporté chez lui pour le dépouiller après le dîner du soir. Il s’était tout à l’heure proposé d’aller faire un tour chez Josette Dallin qu’il n’avait point vue depuis longtemps et d’où il voulait rapporter divers objets qu’il y avait laissés. Mais jetant les yeux par la fenêtre, il avait aperçu la neige que, inlassable, mars continuait d’entasser sur celle de février. Justement la souffleuse mécanique passait, luttant contre la tempête. Enneigée jusqu’aux essieux, une auto grondait rageusement sans parvenir à démarrer.

Il était seul dans la maison. Jocelyne passait quelques jours au chalet des Gauvreau, à Sainte-Adèle, où tout un groupe de jeunes étaient montés pour faire du ski. Quant à Marie-Ange, la bonne, elle prenait son congé hebdomadaire.

La lecture du court billet de son amie jeta le trouble dans l’esprit de Robert Garneau. Sur le reste du courrier empilé près de son fauteuil il posa la petite enveloppe bon marché que la curiosité lui avait fait ouvrir la première.

Debout, il se regarda dans la glace du salon. Pour la première fois depuis longtemps, il interrogea son visage et fut surpris de le si mal connaître. Depuis les jours lointains où lui avait été révélé son destin, toujours il avait fui le tête-à-tête avec son image tout comme il avait fui le tête-à-tête avec son cœur. Lorsqu’il se rasait, le matin, il avait de longtemps pris l’habitude de se regarder à petits coups rapides comme ceux du rasoir. Cela d’ailleurs était machinal et d’ordinaire son esprit vaguait.

Cette fois, résolument tourné vers le miroir, il vit un homme au visage dur, aux yeux fermes et barrés. Il se détailla avec une curiosité nouvelle. Les cheveux étaient plus rares qu’il n’eût cru : grisonnant aux tempes, ils faisaient place, après le front trop haut, à une espèce de duvet, mêlé de poils blancs tout raides, et semblable à cette mousse légère qui couvre la tête des tout-petits enfants. Il vit les paupières lourdes marquées d’un pli.