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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/257

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LES ANTIPODES

pourtant on ne perdait même pas de vue les clochers ni la Montagne qui faisait le dos rond sur l’horizon prochain. Ils avaient connu les bords maigres de la Rivière-au-Chien ; la rive gauche de la rivière de l’Assomption, aux fermes dormant sous les saules hérissés ; et les flaques miroitantes de la rivière de l’Acadie. Le vieux fort de Chambly, la carderie de Chicot, les moulins à vent de Repentigny, le manoir de Terrebonne, et les traces des boulets de Colborne sur la façade de l’église, à Saint-Eustache.

Ils s’étaient fait ainsi une espèce d’album aux images infiniment variées et qu’eux seuls pouvaient feuilleter en souvenir. Ce leur était un sujet d’orgueil secret. Ils se consolaient par là temporairement de ne point connaître Venise, Versailles ni Alger.

Leur fantaisie les arrêtait souvent au bord d’une route poudreuse et déserte, au tournant d’un bois dont le rideau brusquement tiré venait de leur présenter une estampe nouvelle, imprévue. Tous deux immobiles dans la voiture, ils s’amusaient à cueillir des yeux les fleurs qui étoilaient les basques des fossés et qu’ils admiraient sans envie d’en connaître le nom ; ou à suivre du regard et du doigt les oiseaux dont Adrien pouvait identifier la plupart.

— Regarde ! Regarde, Jocelyne, comme il est joli celui-là. Tiens, là !

— Ah oui ! C’est un chardonneret.

— Mais non, voyons. Un chardonneret, c’est plus gros ; avec des ailes noires. Celle-ci est une fauvette.

— Ah ! c’est une fauvette ! Qu’elle est jolie ! Oh !… partie !

Jocelyne était reconnaissante à la Providence d’avoir fait exprès pour eux les bois, les champs, le ciel de chaste azur ; et d’avoir semé les prés de marguerites et de fauvettes.

C’est dans une de ces promenades qu’ils découvrirent Saint-Hilaire.

Par un insensible passage, on quittait un été plaisant pour un automne sans rigueur. C’est à peine si quelques gelées nocturnes avaient touché de vermillon les feuilles des érables et d’ocre celles des peupliers. On était au dernier dimanche de septembre.

Pour une fois, Robert Garneau accompagnait dans une de leurs excursions Jocelyne et Adrien Léger. On avait pris, en direction de l’est, la route qui, fuyant les fumées de Montréal et le fleuve, coupe la grande plaine où ne jaillissent que, de loin en loin, bornes colossales sur un chemin de géants, les seules collines montérégiennes.

— Fais-moi plaisir, papa ! Viens avec nous, avait gentiment insisté Jocelyne. Il fait vraiment trop beau pour rester en ville, pour rester à la maison.

Néophyte de la campagne, elle voulait partager avec ceux qu’elle aimait sa nouvelle passion et les joies qu’elle en savait tirer. D’ailleurs, le