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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/313

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LA SOUMISSION DE L’HOMME

faisaient carrousel, entrelaçant des boucles folles, montant en flèche pour plonger ensuite avec des trissements aigus de joie, les ailes tendues en leur vol circonflexe. Dans les groseilliers, les fauvettes pépiaient en s’installant pour la nuit. Sur les fils électriques, deux chardonnerets s’épaulaient tendrement. Hissé sur le rameau extrême du cerisier, un pinson, la tête renversée en arrière, se gargarisait de musique.

Toute fière, Jocelyne nommait à son amie les oiseaux qu’elle avait appris à connaître.

— Comme tu es savante, admira plaisamment Geneviève.

Jocelyne rougit de plaisir.

— C’est avec Adrien que j’ai appris.

— Et comment est-il, ton Adrien ?

— Beaucoup mieux. Il est question qu’il revienne avant longtemps.

Rapidement la lumière s’atténuait, bue par la terre avide. Le soleil était encore au-dessus de l’horizon. Mais tandis qu’au loin c’était encore le jour, la montagne étalait son ombre grandissante.

— Nous ne voyons pas de couchers de soleil, dit Garneau. D’ici, en effet, un écran d’arbres cachait l’occident.

— C’est vrai. Mais en revanche, vous ne voyez même pas la lueur de Montréal.

— C’est vrai, dit Jocelyne.

Ils parlaient peu. Robert ni Geneviève n’avaient rien à dire. Tous deux regardaient vaguement la luxueuse nature étalée sous leurs yeux. Le premier se sentait, comme par une drogue bienfaisante, obscurément calme et apaisé. La jeune fille savourait silencieusement sa joie informe et profonde. Seule Jocelyne eût voulu exprimer en paroles son plaisir devant la beauté pure de cette fin de jour.

Soudain, sans heurt, le soleil se glissa derrière le paravent des arbres. Alors il se fit un silence subit, étonné. Les oiseaux s’étaient tus. Seul montait, du plus profond de la vallée, l’inutile aboiement d’un chien. Puis on entendit les feuilles frissonner d’un long frisson qui courut depuis les grands chênes, au sommet de la montagne, jusqu’aux cerisiers sauvages emmêlés au revers des fossés, tout en bas.

— C’est le vent du soir, dit Robert. Dès que le soleil se cache, il se met à faire frais.

— C’est vrai, constata Geneviève. On le sent déjà.

Vers le sud, à côté du mont Saint-Grégoire, on distinguait maintenant les feux rouges, verticaux, du poste de TSF.

Brusquement, tout près, éclata le cri bizarre d’un oiseau nocturne. Un cri particulier ; mystérieux, inquiet, assorti à la nuit prochaine. Un appel à la fois mélancolique et dur.