Aller au contenu

Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
LA SOUMISSION DE L’HOMME

Lionel, un égoïsme inavoué lui faisait commode la perspective de noces longuement, indéfiniment retardées.

— Vous savez, monsieur Garneau, disait Adrien…

Mais son visage, ses yeux, ses pensées, ses mots même étaient tournés vers Jocelyne.

— … Vous savez que je me suis trouvé une situation, là-bas.

— Comment, vous avez envie d’aller travailler au Lac-Édouard, au sanatorium ?

Léger se mit à rire franchement tandis que Jocelyne, qui savait, écoutait patiemment.

Il avait eu comme voisin de lit le fils MacLean, MacLean des Springtime Nurseries, ces vastes serres, à Belœil, où l’on faisait en grand la culture des roses et des primeurs.

— Je n’ai qu’à dire quand je voudrai commencer. La place m’attend. Et c’est justement un travail que le docteur me permet. À condition d’y aller prudemment au début.

Lorsqu’il en avait parlé avec sa fiancée, au lieu de s’en tenir là, il avait continué :

— J’aurai même assez de temps pour écrire.

— Pour écrire ?… Pour écrire à qui ?… Puisque je serai là !

Il lui avait alors révélé son secret. Par désœuvrement, il s’était mis à écrire des contes. Il en avait expédié un à une revue de Montréal. On avait publié et payé. Encouragé, et puisque par sa mère, Irlandaise, il connaissait l’anglais tout aussi bien que le français, il avait tenté une nouvelle plus audacieuse qu’il avait envoyée aux États-Unis. Esquire l’avait rejetée ; mais le Saturday Evening Post, chose inespérée, l’avait acceptée.

— Et sais-tu combien j’ai reçu ? Un beau chèque de deux cents dollars. C’est incroyable. Alors j’en ai commencé une autre. Tu verras.

Il s’arrêta, hésitant un peu avant de lui confier son dernier secret.

— … Et ce n’est pas tout. Je pense que je vais écrire un roman. J’ai un beau sujet.

— Sur quoi ? Sur nous deux ?

Il sourit :

— Puis-je songer à quelque chose où il n’y aurait pas au moins un peu de toi ?

Elle l’embrassa du regard, les cils battant sur ses yeux où la flamme du foyer mettait des lueurs mobiles. Son regard monta vers lui, qui était assis au-dessus d’elle. Il se pencha, doucement, et mit sa joue sur ses cheveux.

Le dimanche suivant on reçut la visite de Lafrenière. C’était un des derniers jours que les Garneau passeraient à la campagne. Comme chaque