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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/343

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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— Je te le dis : ma pauvre Jocelyne, tu es complètement folle !

Pourtant, l’idée d’aller chercher le soleil dans le Midi, comme les oiseaux et les grands hommes d’affaires, flattait sa vanité ; bien que jamais, jusqu’à présent, l’idée ne lui fut venue de les suivre. Et pourquoi pas ? Qui sait ? Quelles rencontres fructueuses n’y ferait-il pas ?

Néanmoins de là à s’en aller vivre en pleine campagne, il y avait loin. Et sans doute eût-il résisté solidement si environ ce temps, un fait nouveau, ignoré de Jocelyne, ne fût venu emporter sa décision.

Presque tous les matins, depuis quelques semaines, par exemple lors de son premier cigare, Garneau se sentait dans les doigts de vagues engourdissements. Il n’en eût point été alarmé sans des maux de tête dont la fréquence et la violence allait croissante. Lui qui de sa vie n’avait été vraiment malade ! C’est cela qui, ajouté à des petits malaises plus intimes, l’avait conduit à l’automne dans le cabinet d’un médecin de bonne réputation.

Après un long interrogatoire et un minutieux examen :

— Rien de grave, en vérité, avait dit le praticien. Rien de grave, je vous assure.

Garneau avait secrètement poussé un soupir de soulagement. Non vraiment, il était encore trop jeune, à cinquante-trois ans, pour sentir déjà les atteintes d’une vieillesse encore lointaine.

— … Mais tout de même, continuait le docteur, votre pression est passablement haute.

— Cela veut dire quoi ?

— Tout simplement que les reins sont fatigués, que le cœur a servi longtemps, bref, que le moteur est un peu encrassé. Un peu usé, même. Vous n’avez que cinquante-quatre ans. Pas même. Ce n’est pas vieux…

(Celui qui lui parlait ainsi avait un peu plus : la soixantaine, peut-être.)

— … Mais ce n’est pas jeune non plus.

— Alors ?

— Il vous faut du repos, de la détente.

— Je ne fais… à peu près rien.

— Oh ! Je vous connais, vous autres, hommes d’affaires ! Diminuez encore ; pour un temps, du moins. Voici une ordonnance que vous ferez remplir. Je vous reverrai dans un mois. Pas avant. En attendant : un régime raisonnable, du calme. Et, si possible, la campagne. Oui ! la cam-pa-gne. Autrement…

Rentré chez lui, Robert ne dit rien de cette visite. Il affecta même ce jour-là une bonne humeur appliquée. Comme s’il eut craint que l’on soupçonnât quelque chose.