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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/356

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LE POIDS DU JOUR

du sang. La guerre de 1914, où là encore leur entrée avait été tardive, leur avait été une brève épreuve et un facile triomphe. Ils en étaient sortis grandis et surtout satisfaits d’eux-mêmes, conscients désormais de leur force et de leur importance. Le peuple des États-Unis ne se pouvait rappeler que les drapeaux flottants, les bulletins de victoires, les décorations de héros, les titres magnifiques des gazettes, les défilés tonitruants dans le canon de Broadway sous l’ouragan des feuilles de bottin et les serpentins des rubans de ’ticker’. La guerre, pour eux, c’était un peu une kermesse.

Dans, sa lettre, Lionel avait mis une photo en tenue militaire. Jocelyne trouva vieilli ce visage qu’elle n’avait pas vu depuis bientôt dix ans. Mais les traits s’étaient singulièrement affermis. Et l’uniforme américain, avec ses chevrons énormes et ses insignes multicolores, lui seyait tout à fait bien. Il était visiblement américanisé, complètement. En même temps que dans les yeux un orgueil un peu puéril de son costume, il avait dans le sourire quelque chose de franc et de vigoureux que n’avait pas jadis Lionel Garneau.

Robert avait placé le portrait de son fils sur la table près de la porte, à côté de l’horloge. De sorte que si on ne l’avait pas remarqué tout d’abord, on ne pouvait regarder l’heure sans l’apercevoir.

— C’est mon grand garçon, disait le père dès qu’il voyait le regard des visiteurs se tourner, même vaguement, de ce côté.

— Ah ! oui ?

— Oui. Il est aviateur dans l’armée américaine. Officier aviateur. Il fait des raids sur l’Allemagne.

Il y avait là deux légères exagérations. Mais cela ne pouvait tarder à venir. Ce disant, il ne faisait qu’anticiper les événements ; et de quelques semaines tout au plus.

Le voyage de noces des jeunes époux avait été bref. Les chutes de Niagara, suivant la coutume ; puis quelques jours à New-York.

Jocelyne avait poussé son père à accepter une invitation que de longtemps lui avait faite Hermas Lafrenière. Elle ne voulait point qu’il restât dans cette maison de la montagne à laquelle il n’était guère attaché et où il se fût trouvé absolument seul. Si bien qu’il avait passé quelques jours dans l’Abitibi, à Val-d’Or. On avait visité des mines. La Lorraine Gold, évidemment, et la Sullivan. Mais sur le conseil de son médecin, Robert n’était pas descendu dans les puits. Les ascenseurs, même modérés, l’angoissaient fortement.

De sorte que le souvenir qu’il gardait des mines était quelques bâtiments de bois couronnés de fumées malodorantes dans un quasi désert.