Aller au contenu

Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
LE POIDS DU JOUR

« révolution économique » et de « progrès social ». Il pensait plus au succès de ses livres futurs qu’à leur apostolat. Car aux Springtime Nurseries, il travaillait désormais au contact du patron dont il partageait le bureau et un peu de l’autorité sur les hommes.

De même, il semblait que les circonstances eussent quelque peu modifié Robert Garneau : l’âge et la maladie ; l’oisiveté et la perte du commandement. Industriel et maître de quelques centaines d’hommes, il avait jadis rugi lorsque « des salauds ! des bandits ! des communistes ! » avaient poussé ses ouvriers à réclamer plus d’argent et plus d’avantages. Même la loi de la responsabilité patronale dans les accidents lui avait paru monstrueuse.

— Le monde s’en va au diable ! On n’est plus maître dans sa propre manufacture. On se croirait en Russie avec les bolchéviks !

Mais il était aujourd’hui, il n’était plus vraiment qu’un homme d’affaires en disponibilité. Il admettait assez facilement que les employés pussent avoir des griefs. Et il n’eût assurément pas été fâché de voir une grève à la British Motors (Montreal Division).

— Avec ses clôtures de piquants et ses sentinelles, ce n’est plus une usine. On dirait un pénitencier !

En la maison que la nuit avait faite presque glaciale, Adrien Léger se levait tôt chaque jour dans le silence, le froid et l’obscurité. Il descendait raviver la cuisinière où sous la cendre rougeoyaient encore quelques charbons. Quand Jocelyne, toute grelottante, venait le rejoindre, il finissait de se raser. Les odeurs du café et du pain rôti parfumaient la petite maison. Dans sa chambre du rez-de-chaussée, Robert dormait encore.

— Qu’est-ce qu’il fait, ce matin ?

De l’ongle, Adrien grattait un peu du givre qui voilait le carreau. Il regardait le thermomètre fixé au montant, à l’extérieur.

— Oh la ! la ! C’est pas chaud. Pas chaud ! Dix-huit au-dessous. Ça va être frisquet pour descendre la côte.

— Pauvre chéri, va !

Adrien rentrait le soir un peu fatigué mais les joues fouettées par le vent. Il engraissait.

— À propos, dit-il un soir, j’ai vu encore John B. Tu sais, je t’en ai parlé : John B. Clark, de la poudrerie. Nous avons lunché ensemble. Il est quelque chose d’important dans la Compagnie. Son oncle est un gros actionnaire. Il m’a dit que quand je le voudrais, il y aurait une place pour moi dans leurs bureaux.

— À Montréal ? s’enquit Garneau, intéressé.

— Pas pour le moment. Mais plus tard. Dans une année ou deux…