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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/364

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LE POIDS DU JOUR

ses services à son pays, comme militaire tout d’abord — il avait passé l’âge — puis comme civil. Il tenait désormais en ses mains subtiles le sort de tous ceux, hommes ou femmes, qui n’avaient point revêtu l’uniforme militaire. Prudent et adroit, il n’en tirerait aucun bénéfice pécuniaire illicite ou même douteux. Mais on pouvait être assuré que la guerre terminée il serait des premiers à se faire caser définitivement et confortablement « pour services signalés rendus au pays » ; avec probablement une décoration par surcroît.

Quand il eut pris connaissance de la lettre, Leblanc eut un cri de satisfaction :

— Il me semblait bien aussi que mon ingénieur, c’était quelqu’un.

Ils en oubliaient tous deux leurs duos d’invectives sur le dos du Van Hegebeke. On dîna dans l’enthousiasme. Leblanc commanda une bouteille de Constantia puis au dessert, faute de champagne, une bouteille de champagnette.

Mais lorsqu’en sortant de table Robert téléphona au bureau du sieur Gordon, il apprit son absence pour la journée.

Garneau ce soir-là logea au club.

À dix heures le lendemain il était dans le cabinet de Winthrop Gordon. À l’abord, l’homme d’affaires ne parut rien comprendre à cette histoire. Ce fut la secrétaire qui, appelée, réfléchit un instant puis réapparut porteuse d’un mince dossier.

Well, well… This is it.

Il relut deux fois une lettre à en-tête.

— … Bon. Je regrette que vous vous soyez dérangé pour cela. Tout pouvait se dire par téléphone. Un simple renseignement. Est-ce que vous n’avez pas eu à votre emploi un nommé Matthew VanHegebeke ?

— En effet. C’est l’ingénieur avec qui nous avons étudié le principe de notre nouvelle pompe. Il est parti quand elle a été mise au point. Nous avons engagé par la suite des pourparlers avec une compagnie que je ne peux pas vous nommer et qui serait intéressée… Je vous dis cela parce que si votre compagnie de Toledo…

— Mais non ! Mais non ! Mes correspondants voudraient simplement savoir ce qu’est devenu votre prétendu ingénieur qui, en fait, n’est pas ingénieur plus que moi et dont le vrai nom est Hans Mugeln. C’est à cause d’une histoire de femme abandonnée avec un enfant. Et comme il s’agit d’une cousine de l’un des directeurs…

Garneau retrouva Leblanc qui l’avait invité au Montreal Club.

— Et puis ? Quelles nouvelles ?

— Les nouvelles ? Ton ingénieur, c’était un beau salaud ! J’avais raison de ne pas être optimiste.