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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/380

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LE POIDS DU JOUR

Par un renversement normal, cette annonce jeta Jocelyne dans une joie délirante et sans ombrage. Son frère était vivant, le reste n’existait pas. Elle revenait de trop loin dans le chagrin pour ne pas se livrer sans retenue à une liesse si peu espérée.

Mais cela, qui était moins imprévu pour le père, laissait chez lui place à l’inquiétude. La première partie du télégramme n’avait fait que confirmer sa certitude, que justifier sa confiance. Mais jamais il n’avait songé à la possibilité d’une blessure. Qu’était-elle ? On ne le disait pas. Des images de cinéma lui revenaient, de ces films où l’on voyait des avions — bien que toujours ennemis — plongeant en flammes vers le sol dur ; et les articles de revue où, en décrivant les merveilles de la chirurgie de guerre, on révélait involontairement l’atrocité des mutilations.

— Qu’il ne lui manque qu’une jambe ou quelque chose comme cela et je serai content.

— Oh ! papa. Ne parle pas ainsi ! C’est affreux.

Mais le père s’en tenait à son dire. Il lui semblait que consentir à de telles prémices conjurerait en quelque façon le sort et le ferait se contenter d’un moindre sacrifice.

— En tout cas, ce que j’ai hâte qu’il revienne.

— Tu vas voir, reprenait Jocelyne. Avant longtemps nous aurons une lettre qui nous rassurera. Et j’ai lu un bulletin de la Croix-Rouge. Il paraît que les prisonniers de guerre ne sont pas mal traités du tout. C’est surveillé par la Croix-Rouge.

— Oh ! surveillé ou pas surveillé, les Allemands c’est toujours les Allemands. J’espère qu’on va leur faire leur affaire et au plus vite, les salauds.

La fête fut joyeuse. On avait invité Louise Bilodeau, les Sicotte : Eddy et Josette qui s’appelait désormais José, le lieutenant Jack Galarneau, Édouard Lalime, les Desmarais, le docteur Marcel Gauvreau, médecin militaire à Saint-Hyacinthe, John B. Clark, Annette Carrière, en uniforme de la Croix-Rouge, Bunty Audubon, d’autres encore. Et Bruno Léger, le frère cadet d’Adrien qui vint avec deux jeunes midships de la marine degaulliste. Carmen Désilets, malade, n’avait pu se rendre. Mais on avait eu la surprise de voir Lucien Saint-Jacques qui, revenu du front capitaine et amputé de trois doigts, était au pays depuis l’avant-veille.

Adrien avait voulu inviter aussi quelques amis de son beau-père. Cela n’avait pas été si facile à trouver. Car il y avait ceux que Garneau n’avait pas vus depuis longtemps ; et ceux que, dans sa situation amoindrie, il ne tenait plus à voir. Il avait d’ailleurs eu toujours plus de relations que d’amis véritables.