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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/404

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LE POIDS DU JOUR

En bas, dans le verger, deux hommes s’affairaient lentement : Crétac et son frère qui, suivant l’ordre nécessaire, recommençaient une fois de plus les rites annuels. Tout d’abord la taille des pommiers.

Avec précaution pour ne point éveiller Jocelyne, Robert se leva de son fauteuil. Il sortit sur le perron où dormait son petit-fils et d’où l’on dominait le paysage. Dans le ciel épuré, ailes tendues au vent insensible à fleur de terre, deux oiseaux décrivaient de longues orbes au-dessus de la forêt prochaine. Le couple de busards était revenu déjà. Fidèlement.

Louis-Joseph commençait sa rangée par les arbres à côté de la maison. D’où il était, il ne pouvait voir monsieur Garneau. Dans la lumière du jour, sa voix s’éleva sans effort, pure comme cette lumière même. Un chant sans paroles ; et les mots qu’il ne savait point, il les remplaçait par des syllabes fluides qu’il adaptait aux inflexions de la musique.

C’était un air harmonieux et sans recherche, mais un air qui fit se redresser Garneau.

Car cet air, il ne l’avait pas entendu depuis son enfance. Depuis le temps si invraisemblablement reculé où il s’essayait à le rendre sur son violon. Le thème doublé reprenait simplement après une courte phrase intermédiaire. Du vieil air de Mozart "Drink to me with thine eyes”, Louis-Joseph ne savait pas plus les mots de Ben Johnson que ne les avait sus Hélène Garneau. Mais la musique en suffisait à bouleverser le cœur de Robert-Michel Garneau comme jamais depuis des années il n’avait été bouleversé.