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HÉLÈNE ET MICHEL

leurs branches entremêlées, sauf en un point où l’azur faisait une tache d’un bleu ardent. En contre-bas, la rivière du Loup roulait ses eaux boueuses.

Michel eut un mouvement d’impatience. Plus que jamais, à cette heure, il eût voulu être seul. Seul comme un homme qui, au contraire de l’enfant, consent à partager ses joies mais jamais ses misères. Il fut mécontent que la jeune fille fût ainsi venu le relancer. Marie-Claire ne bougeait point ; elle dormait.

L’idée lui vint de partir. Mais où fût-il allé ? Ce lieu-ci était le seul qu’il désirât. Sans bruit, il se laissa glisser sur le sol, aussi loin que possible de l’importune. Ses yeux durs s’égarèrent sur le paysage de l’autre rive, cherchant quelque chose à quoi s’attacher, quelque chose qui saisit son esprit et le détournât de la contrariété présente. Mais quelqu’effort qu’il fit pour échapper à sa rancœur, celle-ci lui revenait à la bouche en gorgées amères.

Il suivit un instant le vol d’un épervier qui, très haut dans le ciel clair, planait. Il le devina qui fouillait la terre du regard. Puis les cercles d’abord larges se resserrèrent. L’oiseau de proie, ailes fermées, tomba comme une pierre. Michel comprit le drame. Il goûta une joie cruelle à l’idée qu’un autre être que lui allait souffrir aussi.

Un mouvement de Marie-Claire le fit se tourner vers elle. Ramassée en boule, la tête sur son coude replié, sa toison rousse semblait mettre le feu aux herbes sèches. L’ombre était épaisse. Mais le soleil puissant de juin mitraillait les jeunes feuilles et, filtré par le tamis des branches, venait taveler le sol de taches d’or.

Michel aperçut l’une d’elles qui glissait lentement vers le visage de la jeune fille ; elle effleurait en ce moment la pointe fine du nez qui prenait ainsi un relief étrange. Distrait cette fois, il s’amusa à la regarder ramper doucement, sournoisement, presque vivante. Il ne la voyait point bouger ; pourtant il lui suffisait de détourner la vue pour la retrouver un peu plus loin, ayant gagné sur l’ombre. La joue était maintenant atteinte. Se penchant un peu il vit, éclatante de blancheur sous la lumière crue, la chair fine dont le grain était invisible mais où l’été approchant marquait les taches de rousseur comme si on eut jeté là une poignée de sable. La tache lumineuse glissait toujours. Elle atteignit un œil et les cils brillèrent. Marie-Claire poussa un long soupir et, sans bouger, entr’ouvrit les paupières.

— Te voilà, Michel !

Sa voix avait une langueur féminine qui troubla le jeune garçon. Elle restait là comme endormie et n’avait rien changé à son attitude. Mais si Michel tout à l’heure pouvait encore se sentir seul, puisque rien autour de