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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/93

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CHAPITRE

XIII


IL  arrivait souvent à Michel, le soir, de promener sa solitude par les rues peu nombreuses de la ville ; rues si courtes qu’elles le jetaient presque aussitôt dans le lac indéfini de la campagne. Il errait ainsi pendant des heures d’un pas qui rythmait son humeur du moment.

Qu’il n’eût point d’ami, il l’attribuait à son naturel peu liant. C’est à peine s’il lui arrivait de causer, au magasin, avec les jeunes de son âge ; et, rarement, d’être invité à une soirée où l’on jouait à des jeux de société jusqu’à ce que fût arrivée l’heure des boissons gazeuses et de l’éternel gâteau des anges dont c’était la mode.

Mais le jeudi, le jeudi soir dont la coutume faisait ce qu’on appelait le bon soir, c’est-à-dire le soir important, le soir officiel, le soir sérieux, il passait quelques heures avec Georgette. Depuis un temps il la voyait même les dimanches. Il eût été volontiers plus souvent auprès d’elle, s’il n’eut eu de toujours l’habitude de tenir à sa mère une compagnie qui était la seule qu’elle connût.

Lorsqu’il voyait sa blonde, ils restaient tous deux assis sur la véranda dont une vigne grimpante, accrochée aux ajours de la boiserie, faisait une espèce d’alcôve où l’on était invisible. Théoriquement, la tante Béland les chaperonnait de la fenêtre du salon, gardée ouverte si le temps le permettait. Ainsi les convenances étaient sauves. En réalité, les deux amoureux s’installaient dans le coin bien à l’abri des indiscrets, tandis que le trottoir était si près qu’ils ne perdaient rien de ce que pouvaient se dire les passants.

Michel s’était enhardi petit à petit et y avait gagné quelques privautés. Georgette et lui passaient des heures l’un près de l’autre à se tenir la main en causant des choses et des gens quotidiens. Il avait un soir, avec une fausse négligence, posé son bras sur le dossier de la chaise de sa compagne ; la fois suivante il avait recommencé. Elle n’avait rien dit, si bien que, d’un geste qui faisait semblant d’être machinal, il avait touché du bout des doigts la nuque de la jeune fille, là où la chair est rendue encore plus douce par la soie fine des premiers frisons. Puis comme Georgette ne protestait pas, il s’était mis à caresser doucement ses cheveux en une caresse régulière

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