Page:Rivard - Manuel de la parole, traité de prononciation, 1901.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
242
MANUEL DE LA PAROLE

Entraient, fumant, chacun déposant sa monnaie.
Hélas ! tous ces gens-là n’avaient l’âme ni gaie
Ni triste : on en voyait bâiller nonchalamment ;
D’autres suivaient des yeux avec étonnement
Une femme habillée en reine de théâtre,
Grande et maigre, au teint mat, d’une pâleur d’albâtre,
Cachant ses cheveux noirs sous un bandeau doré ;
Tandis que l’homme, avec son visage cuivré
Par le soleil, robuste enfant des races fières,
Le col nu, les cheveux retombant en lanières,
Paraissait à l’étroit dans son justaucorps blanc.
Il ravivait l’éclat fumeux et vacillant
D’une torche, en fixant, non sans inquiétude,
Ce trapèze élevé plus haut que d’habitude,
Qui rayait d’un trait noir le ciel gris et glacé.
Tout à coup, du tambour le roulement pressé,
Bref et clair, retentit ; puis les toiles s’ouvrirent,
Et les badauds, ravis, tout au fond découvrirent
Un jeune enfant, âgé de douze ans à peu près ;
Il se tenait dans l’ombre, indifférent, auprès
De l’escalier vieilli de la grande voiture,
Courbant, en ce moment, sa blonde chevelure
Sur la tête d’un chien qu’il caressait encor.
La tunique, où brillaient mille paillettes d’or,
Serrait la taille souple et frêle et sans entrave
De ce petit, bien jeune… et pourtant déjà grave ;
Un de ces doux enfants qu’on voit par nos chemins,
L’hiver, braver le froid en soufflant dans leurs mains ;
Ils vont… insouciants, sans joie et sans patrie,
Avec l’étonnement d’une enfance flétrie ;
Car ils apprirent, même avant que de prier,
Que l’on doit avant tout, dans leur rude métier,
Respecter les messieurs… et les sergents de ville.
— Le petit s’avança, rougissant et débile,
S’approcha de sa mère et lui parla tout bas,
Puis attendit. — Malgré son visible embarras,