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MANUEL DE LA PAROLE

application toute volontaire, lui permirent, avec l’âge, de fréquenter des leçons plus élevées, mais sans lui rien épargner des devoirs et des gênes de leur maison. Rentré de l’école ou du collège, il lui fallait porter le pain chez les clients, se tenir dans la chambre publique avec tous les siens, et subir dans ses oreilles et son esprit les inconvénients d’une perpétuelle distraction. Le soir, on éteignait la lumière de bonne heure par économie, et le pauvre écolier devenait ce qu’il pouvait, heureux lorsque la lune favorisait par un éclat plus vif la prolongation de sa veillée. On le voyait profiter ardemment de ces rares occasions. Dès les deux heures du matin, quelquefois plus tôt, il était debout ; c’était le temps où le travail domestique recommençait à la lueur d’une seule et mauvaise lampe. Il reprenait aussi le sien ; mais la lampe infidèle, éteinte avant le jour, ne tardait point de lui manquer de nouveau ; alors il s’approchait du four ouvert et enflammé, et continuait, à ce rude soleil, la lecture de Tite-Live ou de César.

Telle est cette enfance dont la mémoire poursuivait le général Drouot jusque dans les splendeurs des Tuileries. Vous vous en étonnerez peut-être ; vous vous demanderez quel charme il y avait à cela. Il vous l’a dit lui-même : c’était le charme de l’obscurité, de l’innocence et de la pauvreté.

R. P. Lacordaire.


LA FORÊT


Séjour mystérieux, solitude profonde,
Forêt qu’avec effroi l’œil du poète sonde,
Dans tes ravins obscurs jamais le jour ne luit,
Et le pied du chasseur marche seul dans la nuit.

Sinistre labyrinthe, image de ce monde,
Toujours une rumeur dans ton silence gronde,
Et la voix des torrents et du vent qui bruit
Étouffe les chansons des oiseaux par son bruit.