Page:Rivard - Manuel de la parole, traité de prononciation, 1901.djvu/273

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
MORCEAUX CHOISIS

CINNA, A. V, SC. 1.


Auguste, Cinna.
Auguste

Tu vois le jour, Cinna ; mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père, et les miens :
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance ;
Et lorsque après leur mort, tu vins en ma puissance,
Leur haine enracinée au milieu de ton sein
T’avait mis contre moi les armes à la main.
Tu fus mon ennemi même avant que de naître,
Et tu le fus encor quand tu me pus connaître ;
Et l’inclination jamais n’a démenti
Ce sang, qui t’avait fait du contraire parti ;
Autant que tu l’as pu, les effets l’ont suivie.
Je ne m’en suis vengé qu’en te donnant la vie ;
Je te fis prisonnier pour te combler de biens ;
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens ;
Je te restituai d’abord ton patrimoine ;
Je t’enrichis après des dépouilles d’Antoine,
Et tu sais que depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion.
Toutes les dignités que tu m’as demandées,
Je te les ai sur l’heure et sans peine accordées ;
Je t’ai préféré même à ceux dont les parents
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs,
À ceux qui de leur sang m’ont acheté l’empire,
Et qui m’ont conservé le jour que je respire ;
De la façon, enfin, qu’avec toi j’ai vécu,
Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.
Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveurs montrer un peu de haine,
Je te donnai sa place en ce triste accident,
Et te fis, après lui, mon plus cher confident.