Page:Rivard - Manuel de la parole, traité de prononciation, 1901.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
MANUEL DE LA PAROLE

De longs cheveux touffus chargeaient son front hâlé ;
Ses talons étaient gris de poussière, et sa robe
N’était qu’un vieux jupon à sa taille enroulé,
Où la nudité maigre à peine se dérobe !

Elle allait aux passants, les suivait pas à pas,
Et disait, sans changer un mot, la même histoire,
De celles qu’on écoute et que l’on ne croit pas :
Car notre conscience aurait trop peur d’y croire !

Elle voulait un sou, du pain, — rien qu’un morceau !
Elle avait, je ne sais dans quelle horrible rue,
Des parents sans travail, des frères au berceau,
La famille du pauvre, à peine secourue !

Puis, qu’on donnât ou non, elle essuyait ses pleurs
Et s’en retournait vite aux gazons pleins de mousses,
S’amusait d’un insecte, épluchait quelques fleurs,
Des taillis printaniers brisait les jeunes pousses,

Et chantait ! le soleil riait dans sa chanson !
C’était quelque lambeau des refrains populaires,
Et, pareille au linot, de buisson en buisson,
Elle lançait au ciel ses notes les plus claires !

Ô souffle des beaux jours ! mystérieux pouvoir
D’un rayon de soleil et d’une fleur éclose !
Ivresse d’écouter, de sentir et de voir !
Enchantement divin qui sort de toute chose !

L’enfant, au renouveau, peut-il gémir longtemps ?
Le brin d’herbe l’amuse et la feuille l’attire ?
Sait-on combien de pleurs peut sécher un printemps,
Et le peu dont le pauvre a besoin pour sourire ?

Je la regardais vivre et l’entendais de loin.
Comme un fardeau que pose un enfant qui s’arrête,
Elle allégeait son cœur, se croyant sans témoin.
Et les senteurs d’avril lui montaient à la tête !