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MORCEAUX CHOISIS

la fauvette, « Non, dit le bouvreuil, ce n’est pas un artiste, puisqu’il a une culotte en argent ; c’est plutôt un prince. »

« C’est plutôt un prince, dit le bouvreuil. — Ni un artiste, ni un prince, interrompt un vieux rossignol qui a chanté toute une saison dans les jardins de la sous-préfecture… Je sais ce que c’est, c’est un sous-préfet ! » Et tout le petit bois va chuchotant : « C’est un sous-préfet ! C’est un sous-préfet ! » « Comme il est chauve ! » remarque une alouette à grande huppe. Les violettes demandent : « Est-ce que c’est méchant ? »

« Est-ce que c’est méchant ? » demandent les violettes. Le vieux rossignol répond : « Pas du tout ! » Et sur cette assurance, les oiseaux se remettent à chanter, les sources à courir, les violettes à embaumer, comme si le monsieur n’était pas là… Impassible au milieu de tout ce joli tapage, M. le sous-préfet invoque dans son cœur la muse des comices agricoles, et, le crayon levé, commence à déclamer de sa voix de cérémonie : « Messieurs et chers administrés… »

« Messieurs et chers administrés », dit le sous-préfet de sa voix de cérémonie… Un éclat de rire l’interrompt ; il se retourne et ne voit rien qu’un gros pivert qui le regarde en riant, perché sur son claque. Le sous-préfet hausse les épaules et veut continuer son discours ; mais le pivert l’interrompt encore et lui crie de loin : « À quoi bon ! — Comment ! à quoi bon ? » dit le sous-préfet, qui devient tout rouge ; et, chassant d’un geste cette bête effrontée, il reprend de plus belle : « Messieurs et chers administrés… »

« Messieurs et chers administrés, » a repris le sous-préfet de plus belle ; mais alors, voilà les petites violettes qui se haussent vers lui sur le bout de leurs tiges et qui lui disent doucement : « Monsieur le sous-préfet, sentez-vous comme nous sentons bon ? » Et les sources lui font sous la mousse une musique divine, et dans les branches, au-dessus de sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs plus jolis airs, et tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours.

Tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours… M. le sous-préfet, grisé de parfums, ivre de musique,