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DE L'UNIVERSALITÉ


par lui entre deux suites d’événemens, comme entre deux foyers de lumière. Désormais l’histoire du globe précédera celle de ses habitans.

Partout on voyait la philosophie mêler ses fruits aux fleurs de la littérature, et l’encyclopédie était annoncée. C’est l’Angleterre qui avait tracé ce vaste bassin où doivent se rendre nos diverses connaissances ; mais il fut creusé par des mains françaises. L’éclat de cette entreprise rejaillit sur la nation et couvrit le malheur de nos armes. En même tems un roi du Nord faisait à notre langue, l’honneur que Marc-Aurèle et Julien firent à celle des Grecs : il associait son immortalité à la nôtre ; Frédéric voulut être loué des Français, comme Alexandre des Athéniens. Au sein de tant de gloire, parut le philosophe de Genève. Ce que la morale avait jusqu’ici enseigné aux hommes, il le commanda, et son impérieuse éloquence fut écoutée. Raynal donnait enfin aux deux mondes le livre où sont pesés les crimes de l’un et les malheurs de l’autre[1]. C’est là que les puissances de l’Europe sont appelées tour-à-tour, au tribunal de l’humanité, pour y frémir des barbaries exercées en Amérique ; au tribunal de la philosophie, pour y rougir des préjugés qu’elles laissent encore aux nations ; au tribunal de la politique, pour y entendre leurs véritables intérêts, fondés sur le bonheur des peuples.

Mais Voltaire régnait depuis un siècle, et ne donnait de relâche, ni à ses admirateurs ni à ses ennemis. L’infatigable mobilité de son ame de feu l’avait appelé à l’histoire fugitive des hommes. Il attacha son nom à toutes les découvertes, à tous les événemens, à toutes les révolutions de son tems, et la renommée s’accoutuma à ne plus parler sans lui. Ayant caché le despotisme de l’esprit sous des graces toujours nouvelles, il devint une puissance en Europe, et fut pour elle le Français par excellence, lorsqu’il était pour les Français l’homme de tous les lieux et de tous les siècles. Il joignit enfin à l’universalité de sa langue, son universalité personnelle ; et c’est un problème de plus pour la postérité.

Ces grands hommes nous échappent, il est vrai, mais nous vivons encore de leur gloire et nous la soutiendrons, puisqu’il nous est donné de faire dans le monde physique[2] les pas de géant qu’ils ont faits dans le monde moral. L’airain vient de parler entre les mains d’un Français[3], et l’immortalité que les livres donnent à notre langue, des automates

  1. En louant cette grande histoire, dont Raynal n’a guère été que le rédacteur, je n’ai pas prétendu défendre les déclamations trop fréquentes qui la déparent, et qui ont été rejettées par le goût, avant de l’être par l’église et les parlemens : je n’ai donc loué que le plan et les idées fondamentales de l’Histoire des deux Indes : les fautes d’exécution, les bigarrures de stile, et les erreurs dans les faits sont aussi nombreuses qu’inexcusables.
  2. Sans doute que les découvertes physiques ne font rien à la langue d’un peuple et à sa littérature, mais elles augmentent son éclat et sa gloire, et lui attirent les regards de l’Europe. Tous les arts et tous les genres de réputation entrent dans l’objet de ce discours : si un Français eût inventé la poudre ou l’imprimerie, on en eut fait mention ici.
  3. Ce sont deux têtes d’airain qui parlent, et qui prononcent nettement des phrases entières. Elles sont colossales, et leur voix est sur-humaine. Ce bel ouvrage, éxéctné par l’abbé Mical, a résolu un grand problème. Il s’agissait de savoir, si la parole pouvait quitter le siège vivant que lui assigna la nature, pour venir s’attacher à la matière morte ?
    Il y a aussi loin d’une roue et d’un levier à une tête qui parle, que d’un trait de plume au tableau de la transfiguration : car il faut convenir que, depuis la poésie jusqu’à la mécanique, le complément de tout art, c’est l’homme. Vaucanson s’est arrèté aux animaux, dont il a rendu les mouvemens et contrefait les digestions. Mais M. Mical, voulant tenter avec la nature une lutte jusqu’à nos jours impossible, s’est élevé jusqu’à l’homme, et a choisi dans lui l’organe le plus brillant et le plus compliqué ; l’organe de la parole.
    En suivant donc la nature pas à pas, ce grand Artiste s’est apperçu que l’organe vocal était dans la glotte un instrument à vent, qui avait son clavier dans la bouche ; qu’en soufflant du dehors au-dedans, comme dans une flûte, on n’obtenait que des sons filés ; mais que pour articuler des mots, il fallait souffler du dedans au-dehors. En effet, l’air en sortant de nos poumons, se change en son dans notre gosier, et ce son est morcelé en syllabes par les lèvres, et par un muscle très-mobile, qui est la langue, aidée des dents et du palais. Un son continu n’exprimerait qui une seule affection de l’âme, et se rendrait par une seule voyelle ; mais coupé à différens intervalles par la lan-