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loin du bruit de la ville ; on s’asseyait au bord d’une rive tranquille et l’on assistait, dans le silence, au déclin de la lumière et à la fin du jour. Corot aimait à évoquer le souvenir des impressions ressenties alors par son âme d’enfant[1]. Le charme des solitudes, le mystère des heures crépusculaires avaient dès ce temps-là lait éclore dans son jeune cœur la petite fleur de la poésie, qui s’y épanouit plus tard et rayonna d’un si bel éclat.

Cependant il était entré en septième. Jusqu’à la quatrième, l’élève se maintient dans une assez bonne moyenne. Mais son professeur de quatrième, un certain Quidit, le prend à rebours et le rebute. C’en est fini, il faut le retirer du collège. Son père s’y décide en 1812, quand il a terminé son année de seconde ; et il le met, pour achever ses études, dans une pension à Poissy, où il resta deux ans, recommença sa seconde et fît, selon son expression, « une espèce de rhétorique. » Rhétorique assez bizarre en effet. Car un de ses cahiers de rhétoricien, que le hasard a conservé, contient des pages d’écriture et même des jambages comme on en fait faire aux bambins de cinq ou six ans[2].

D’ailleurs, à 19 ans, Corot est un grand enfant timide et gauche. Il rougit quand on lui adresse la parole. Devant les belles dames qui hantent le salon maternel, il est emprunté et s’enfuit comme un sauvage. Quand on lui parle d’une carrière, il ne répond pas. Il a acheté un album et s’applique à crayonner. Il dit vaguement : « J’ai envie de faire de la peinture. » Mais le père lui rit au nez. On lui a trouvé une place chez un marchand de drap. Il entre comme vendeur, rue de Richelieu, chez Ratier ; mais quel mauvais vendeur ! Il cache les marchandises défraîchies, il vend à perte les articles de choix ; et sa naïveté s’étonne quand le drapier se fâche. M. Ratier, qui n’entend pas qu’on gaspille son fonds, le retire du magasin et l’envoie courir la ville, l’épaule chargée de gros ballots « toile et paille ». Les courses au grand air font mieux son affaire que le déplié et l’aunage derrière le comptoir ; tandis que ses jambes

  1. Conversation avec M. Alfred Robaut, en novembre 1873. — Conversation avec M. Henri Dumesnil, citée dans ses Souvenirs Intimes, p. 8.
  2. Cahier commencé le 12 juin 1814, fini le 9 avril 1815.