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LES MENDIANTS DE PARIS

Ses amis le prirent par le bras cet l’emmenèrent du côté du bois. Chemin faisant, ils tâchaient de le consoler de sa mésaventure ; mais dès qu’ils ouvraient la bouche, un rire fou, inextinguible, leur coupait la parole…

Une fois la chasse commencée, Herman, excédé de plaisanteries dont il se voyait l’objet, poussé à bout, malade de honte et de colère, s’engagea adroitement dans des chemins creux qui l’éloignaient de ses compagnons, et demeura toute la journée à errer seul dans la campagne. Les jeunes gens, après l’avoir cherché un instant, poursuivirent leur chasse sans lui, et on ne se retrouva plus qu’à l’heure du souper.


IV

La salle à manger de la maison Rocheboise, décorée dans un ancien style, offrait des trophées de chasse, des insignes de vénerie sculptés sur les trumeaux, peints à fresque sur les murailles ; des têtes de cerfs, en guise de candélabres, soutenaient des bougies a la pointe de leurs ramures ; des figures d’animaux étaient taillées dans la pierre à la frise et à la base des pilastres.

Si les ombres des braves chasseurs d’autrefois avaient encore habité cette enceinte, elles auraient pris en grande pitié les jeunes Parisiens qui venaient d’y rentrer, brisés de fatigue, après une promenade dans un bois de deux lieues. Ils avaient bien vite dépouillé fusil, ceinturon et carnassière. Assis en équilibre sur une chaise, les pieds étendus l’un sur l’autre, la poitrine délivrée du dernier bouton de la veste de chasse, ils savouraient ce délicieux débraillé avec plus de joie que n’aurait pu en faire naître en eux le triomphant hallali. Ils ne sortirent de leur molle attitude que pour se mettre à table.

Le dîner était commencé quand M. de Rocheboise rentra. On l’accueillit d’un air railleur et avec un rire contenu.

— Eh ! bonjour, cher ! ça va bien ?… lui dit-on de tous côtés en lui secouant la main.

Berman crut entendre encore l’affreux bonjour des gamins du village. Sa figure devint si sombre, qu’on vit la nécessité de mettre fin à toute plaisanterie, et on ne s’occupa plus que du souper. Le vigoureux appétit aidant à la délicatesse pour restreindre le flux des paroles, on n’entendit pendant longtemps que le murmure du vin qui cou