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LES MENDIANTS DE PARIS

Les yeux d’Herman étaient fixés sur cette étendue déserte, lorsqu’il aperçut une forme incertaine et mouvante sur le rivage. Cet objet indistinct prit bientôt à ses yeux l’apparence d’un homme avançant à pas lents sur le bord de l’eau.

La vue troublée par l’insomnie et la souffrance, Herman, ne s’attachait pas moins à suivre les mouvements de cette apparition qui, dans sa marche, s’offrait ou se dérobait à ses regards selon la disposition des masses de feuillage.

Lorsque cette figure, en approchant, se trouva mieux en vue de la fenêtre, Herman distingua un homme en costume de villageois ; il ne voyait point ses traits, mais seulement une haute et forte stature, une longue veste, une cravate rouge, un chapeau enfoncé sur le front et des cheveux blonds coupés carrément sur le cou.

Il y avait dans la présence de cet homme à cette heure, au milieu de la solitude, quelque chose qui semblait fatal ; son attitude, sa tête basse, son pas mesuré et solennel inspiraient la tristesse et l’effroi.

À droite de l’allée d’ormes qui s’étendait sous la croisée, était un massif de trois grands saules, s’élevant au pied de la pente rapide du rivage et sur le sable effleuré par les vagues de la rivière.

Herman vit l’homme qu’il suivait du regard, arrivé en face de ces arbres, quitter le sentier où il marchait… descendre sur la grève… Il le vit ôter son chapeau, sa veste, sa cravate, les déposer au pied des saules ; et s’avancer entre les troncs des arbres qui le dérobèrent alors à ses regards.

Un instant se passa… Puis un bruit profond se fît entendre… celui d’un corps qui tombe dans la rivière, dont les eaux s’ouvrent et tourbillonnent.

Ce bruit retentit de toute sa force dans le sein d’Herman.

L’impression répandue par l’aspect de cet homme n’était pas trompeuse : c’était bien un malheureux qui venait chercher la mort.

Ne sentant plus, la fièvre, ni ses douleurs, ni sa faiblesse, Herman s’élance de sa chambre, se précipite vers le rivage, et pense, arrivé là, se jeter à la nage et sauver cet homme des eaux… En descendant sous les saules, son pied heurte les vêtements qu’il a vu déposer. Il avance