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LES MENDIANTS DE PARIS

subitement changé. Au lieu du désert nébuleux, c’était une population inaccoutumée, une foule de paysans, de pâtres, de pêcheurs. Mais ces gens ne se rendaient point à leurs travaux, ils allaient et venaient, s’abouchaient en se croisant, et restaient à parler entre eux d’un air affairé, les hommes roulant leurs chapeaux entre leurs doigts, les femmes les mains retournées sur leurs larges hanches.

Herman entendit ces paroles qu’ils échangeaient :

— Est-ce bien vrai !… tant de malheurs tomber à la fois sur une pauvre maison du bon Dieu !

— Cette petite Marie… si brave fille, si charitable… un vrai ange du ciel !

— Et qui s’en va de ce monde en une nuit.

— Quand elle ne devait avoir ses dix-huit ans sonnés qu’à la Saint-Martin.

— Et Pierre, son fiancé, qu’on ne peut plus trouver !

— Dites-moi ce qu’il est devenu ?

C’est un moment affreux que celui où une supposition faite avec épouvante vient s’affermir, où ce qui nous effrayait sous la forme de chimères devient réalité : Herman frissonna en entendant parler de Pierre.

— Que Dieu conserve ce digne jeune homme, disaient encore les paysans…

— Oh ! oui, celui-là… un cœur d’or…

— Il faut le chercher donc… le chagrin lui aura fait perdre la tête, à ce garçon.

— Ah ben oui ! le chercher !… son père, qui est revenu hier bien-tard de Meudon, où il avait passé la journée, quand il n’a plus trouvé son fils à la maison, s’est mis à battre la campagne après lui et n’a fait que ça toute la nuit.

— Et ce matin on ne peut lui parler… Ce pauvre cher homme, sa raison déménage.

— C’est fini… On lui dit que Marie, sa pauvre fille d’adoption, est morte hier à la fin de la nuit, que depuis ce moment son fils Pierre est perdu sans qu’on en sache nouvelle… Rien… ça ne lui rend pas le bon sens. Il répète d’une voix singulière : Marie morte, mon fils perdu… quasiment comme s’il disait un refrain de chanson, et puis il vous glisse entre les mains et se remet à courir les champs.

Les angoisses d’Herman redoublaient à toute minute. Pâle, glacé, adossé contre un arbre où il était caché par