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LES MENDIANTS DE PARIS

Pierre et de Marie ; eh bien ! il n’y a rien de si étrange dans tout cela, et qui doive tant frapper votre imagination. Est-ce que le malheur peut vous étonner ?

— Le malheur… à ce point !

— Chacun trouve les maux qui viennent à sa connaissance les plus affreux de tous ; ce qui prouve que le génie infernal auquel appartient cette terre se surpasse sans cesse lui-même… Mais enfin…

— Oh ! vous êtes cruel, Pasqual, interrompit Jeanne. Quoi, la mort de deux êtres si jeunes et si purs ! la folie de leur père !…

— Qu’y a-t-il d’extraordinaire ? Une jeune fille, une enfant a été brisée par une terreur trop violente pour ses forces ; son amant n’a pu lui survivre. Est-ce que cela vous étonne, Jeanne, qu’on sacrifie sa vie pour suivre ce qu’on aime ?

— Non… moins que vous ne pouvez penser !

— Moi, il me semble qu’à la place de Pierre, je serais mort comme lui… Pour le père Augeville, c’est une grande bénédiction qu’il ait perdu l’esprit. Il ne sait plus rien des coups qui l’ont frappé, c’est comme si ces malheurs n’étaient pas arrivés.

— Mon Dieu ! dit Jeanne avec une exaltation concentrée, je sais bien que les morts ne sont plus à plaindre… pas plus que les insensés… qu’ils soient descendus naturellement dans la tombe, ou qu’on les y ait jetés avec violence, leur repos est le même… Mais l’auteur de ces maux !

— Ah ! je m’en souviens, c’est pour lui que vous tremblez. Eh bien ! qu’a-t-il donc à redouter ? Ses victimes ne sont plus, et partout ailleurs on ignore son crime ou on l’a oublié.

— Et la Providence !

— La Providence est une idole que les malheureux de tout temps se sont créée à eux-mêmes pour se consoler et pour espérer jusqu’au dernier moment. Mais il n’y a que les opprimés qui croient à la justice céleste ; vous n’entendez jamais les autres en parler.

— Qu’importe, pourvu qu’elle existe.

— On le saurait bien depuis le temps ; on aurait vu des exemples de son pouvoir… Regardez bien, vous ne verrez jamais les individus de ce monde riches et heureux selon leur mérite ; c’est plutôt le contraire.

— Jusqu’au jour de la rétribution dernière.