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LES MENDIANTS DE PARIS

Dans la rencontre qu’il avait faite un soir de la pauvre Jeanne dans le pavillon du jardin, plusieurs circonstances avaient fait vibrer les cordes délicates de son âme. Cette femme était dans un état de faiblesse et de dénûment qui devait émouvoir vivement la pitié ; sa voix, par une influence inconnue, venait répondre dans le sein d’Herman ; quelques-unes de ses paroles, qui avaient eu rapport à une circonstance aussi triste qu’ignorée de la vie du jeune Rocheboise, semblaient établir entre elle et lui un lien secret ; enfin, sa présence inattendue et sa disparition subite lui avaient donné aux yeux d’Herman le prestige du mystère.

Ces impressions n’étaient point effacées lorsque, à quelque temps de là, le hasard lui fit rencontrer de nouveau la pauvre femme.

Le jour tombait comme Herman, passant seul, en voiture, sur un des boulevards extérieurs, crut reconnaître la bonne vieille du pavillon, marchant le long des arbres, avec quelques autres indigentes.

Il s’élança à l’instant de voiture, ordonna à ses gens de l’attendre à la place où ils se trouvaient, et se mit à suivre celle qui avait frappé son attention.

Marchant à quelques pas en arrière, il distingua pourtant la robe noire de forme monacale que portait Jeanne, et, lorsqu’elle parla, son organe, son énonciation, si différents de ceux des autres femmes de cette classe, ne lui laissèrent plus de doute à son égard.

Il se promit bien de tout tenter dans cette occasion qui se présentait pour apprendre la demeure de Jeanne, pour connaître cette femme, et surtout pour lui porter des secours ; car il sentait en lui plus que de la pitié et comme un besoin extrême de la tirer de sa cruelle misère.

Après avoir cheminé quelques instants, les mendiantes s’arrêtèrent devant un petit restaurant du boulevard.

Elles montaient les degrés de la principale entrée de l’établissement, et Herman, resté un peu en arrière, se trouvait précisément à la porte du jardin attenant au restaurant. Sans prendre le temps d’aucune réflexion, il pénétra par là dans la maison.

Cet endroit, où il venait d’entrer ainsi, n’était autre que le Trou-à-vin ; mais il n’avait donné nulle attention à l’apparence de la taverne, que d’ailleurs la tombée du jour commençait à voiler.

Le jardin était divisé en compartiments de charmille