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LES MENDIANTS DE PARIS

s’allumaient contre les murailles nues, peintes seulement par les diverses empreintes que le temps, l’humidité, les vapeurs épaisses de l’antre et le contact des habitués y avaient laissées. Au fond de l’enceinte, la vielle horloge, nommée coucou, sonnait lentement huit heures, et les membres de l’assemblée arrivaient de toute part à son appel.

La bande compacte et serrée offre un amas confus de haillons, d’oripeaux, de besaces, de bâtons, béquilles, potences, madriers, de toutes sortes d’instruments de musique bizarres, de figures difformes, contournées, horribles, de corps fracturés de leurs membres, de bosses superposées, de bras, de jambes nus, couverts de plaies.

On dirait un courant d’eau noir, fangeux, roulant des blocs informes, des troncs brisés, des tas de ronces dans des flots de vase et de boue, arrivant, débordant par l’écluse ouverte avec un murmure profond, sauvage, et s’élargissant dans l’enceinte.

Là, on distingue mieux ses diverses parties.

Ce sont des hommes roulant des orgues de Barbarie, où s’adaptent des berceaux, des petits fauteuils d’enfants, instruments complexes, dont la musique se compose de sons de cordes et de cris humains ; d’autres orgues surmontées de marionnettes, de cages de serins, de singes, de chiens habillés et savants. Des individus portant comme des façades de maison des écritaux qui les désignent pour aveugles, paralytiques, etc. ; des Savoyards déguenillés avec leurs vielles et leurs marmottes ; les aveugles avec leurs clarinettes et leurs chiens ; des femmes soutenant sur leurs bras, sur leur dos, ou traînant par la main de pauvres petits êtres, rendus, à force d’art, hâves, chétifs, décharnés à faire pitié… quelques-uns même ayant les yeux crevés par l’industrie raffinée de leurs maîtresses, qui ont su leur donner une infirmité durable.

On ramasse toute cette foison d’enfants, de chiens, de singes, d’oiseaux, de marmottes, on l’étend en couche épaisse sur de la paille disposée dans un coin de la salle, et on jette là-dessus une grande couverture pour endormir tous ces êtres grouillants, et les empêcher de crier, de chanter, de troubler par leur bruit les plaisirs de la soirée.

Pendant cette opération, le père Corbillard s’adresse à une des mères nourrices qui apporte coucher son enfant :