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LES MENDIANTS DE PARIS

aigre, criard à faire plaisir ; puis une voix claire et flûtée qui chante la romance :

Écoute, ô ma bergère !…

En même temps paraît, au milieu d’une superbe gambade qu’il exécute sur le seuil, un petit vieux, maigre et tanné, secouant les paillettes de son habit, la poudre de sa perruque, les rosettes de ses souliers, les rubans de son épée en verrou.

— Bonjour, marquis d’Argent court ! bonjour, marquis, disent toutes les voix en même temps.

Qui ne connaît ces éternels marquis de carrefour, nobles d’origine, en effet, car ils se succèdent de père en fils, qui chantent si follement la romance égrillarde, qui lancent si prestement les feuillets de chansons à un quatrième étage !

Le marquis, bien accueilli dans la société dont il fait les délices, est déjà en possession de fixer tous les regards de l’assemblée : il se pavane, fait la roue, le jabot, minaude avec les dames, et passe la main sous le menton des petites filles…

Mais, tout à coup, un autre chanteur des rues fait son entrée comme une bombe, et remplit tout l’espace de ses cabrioles, en donnant de grands coups de pied au marquis.

Celui-ci porte un petit chapeau ciré, garni de rubans, un habit vert pincé à la taille, une culotte large et courte, des bas bleus, un bouquet à la boutonnière, et chante à tue-tête :

Je suis marié d’à c’matin
j’ai le cœur content, l’âme bien aise.

— C’est le gars normand ! s’écrie-t-on ; le gars normand !… Tu es un peu enfoncé, marquis de la vieille date !… Voilà le garçon à la mode !… Eh ! eh ! il ramasse plus de gros sous à Paris qu’il n’y a de pommes dans la Normandie… Viens donc ici, bijou, qu’on te regarde, qu’on te fasse caresse…

Et toutes les mains se tendent vers lui, le prenant par la manche, par l’habit, par les cheveux.

Mais lui se débarrasse de tout ce monde en tournant comme une toupie, sautant plus haut et chantant plus fort :