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LES MENDIANTS DE PARIS

par un étranger au milieu de leur saturnale et pour ne pas discerner au juste quelle conduite il y avait à tenir ; mais, à défaut de la raison, leur instinct cupide leur faisait regarder d’un œil sombre et allumé le riche costume de l’étranger, et surtout les diamants qui brillaient sur sa poitrine.

Après avoir encore échangé quelques mots entre eux, ils gardèrent le silence envers leurs compagnons sur ce qu’ils avaient découvert.

Un autre personnage s’était aperçu de la présence de M. de Rocheboise, c’était Pasqual, qui, tandis qu’Herman ne remarquait point l’attention dont il était l’objet, observait, lui, tour à tour le jeune étranger et ceux des mendiants qui tenaient leurs regards sur lui.

Tout à coup, quand le bal était dans son plus beau moment, la salle se remplit tout entière d’une lumière éblouissante, et un grondement de tonnerre prolongé roula sur les longues bandes des danseurs effrénés.

L’orage, qui avait menacé tout le jour, venait d’éclater.

— Le tonnerre ! exclama tout le monde en même temps.

Et sans savoir pourquoi, les mendiants s’arrêtèrent… le plus grand nombre fit le signe de la croix… l’orchestre se tut un instant, comme dominé par le bruit formidable du ciel.

— Eh bien ! dit le père Corbeau du ton d’un esprit fort, on étouffait dans la journée, l’orage crève, c’est tout simple.

— Paix ! paix ! dit mademoiselle Rose, le Seigneur parle aux hommes au milieu de la foudre ; c’est le prophète qui nous l’apprend…

— Et qu’est-ce qu’il vient nous dire, le Seigneur ? demanda un des gueux.

— Il dit, prononça en souriant Pasqual, que vous lui rompez la tête, et qu’il va balayer l’infernal cabaret.

— Ah ! crièrent quelques femmes, faites donc taire ce vilain sorcier… Il est dans le cas d’appeler l’orage pour nous épouvanter.

— Non, non, répondit Corbillard à la prédiction de Pasqual, le tonnerre est meilleur enfant ; il nous dit simplement de boire à sa santé.

— C’est cela ! s’écria-t-on ensemble… Buvons !… ça nous rendra du cœur…