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LES MENDIANTS DE PARIS

l’ardeur de tous les biens, reculent devant le travail qui peut les faire obtenir ; il en est beaucoup d’autres qui avec les instincts du brigandage et du crime, faiblissent devant la perspective du bagne ou de l’échafaud ; et la mendicité recueille dans son vaste giron toutes ces lâchetés.

Bien qu’il soit encore de bonne heure, les habitués du Trou-à-Vin, pour la plupart paysans de la banlieue, sont déjà repartis pour leurs gîtes, et les mendiants restent seuls au cabaret.

On a longtemps parlé d’affaires, des différents quartiers qu’on doit se partager, des ruses de guerre qu’il serait bon de rajeunir et de perfectionner. Mais maintenant le vin échauffe les têtes ; on rit, on trinque, on chante en chœur. Corbillard rend ses soins à mademoiselle Rose, et lui tient des propos galants que ses soixante ans ne refroidissent pas trop ; Robinette roule ses beaux yeux à demi fermés du côté de Pasqual, et croit ainsi, lui lancer des regards d’amour, qui sont bientôt suivis d’un franc rire d’enfant.

Pasqual, à la vérité, est bien changé à son avantage depuis le matin. Il n’a plus, le bandeau sur le visage et la jambe de bois, qui ne servaient qu’à tenir en retraite un œil vivement allumé et une jambe très-alerte.

Sa figure, maintenant, présente un front large et austère, des traits réguliers, une physionomie qui avec l’aspect un peu sauvage qu’imprime la vie vagabonde, et une gravité sombre, montre pourtant quelque élévation, et respire surtout la force d’âme, l’intelligence et le courage.

Robinette, assise table au milieu de ses ignobles compagnons, apparaissant entre deux brocs de vin, et à la lueur de chandelles fumeuses, ressemble à l’iris rosé éclos au milieu des marais.

Cependant toutes ses grâces et tous ses sourires ne rencontrent dans celui qu’ils vont chercher qu’un marbre froid, sur lequel ils glissent sans pénétrer.

Il vient d’entrer un personnage d’importance, dont le chapeau est resté cloué sur la tête. C’est M. Friquet, le mendiant à domicile, qui veut bien faire l’honneur à ses confrères de plus bas étage de venir goûter leur vin de dessert.

— Eh bien ! dit maître Friquet après les premiers compliments et les premières rasades, comment vont les affaires ?